Le Québec vient de dévoiler simultanément son bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES) 1990-2020 et son rapport sur l’atteinte des cibles de réduction de GES de 2020. Nous y apprenons que les émissions sur le sol québécois ont baissé de 13 % en 2020 par rapport à 1990, alors que l’objectif de la province était une réduction de 20 %. Malgré le décalage entre les chiffres, le gouvernement crie victoire, et même plus : notre bilan serait une réduction de 26 % sous le niveau de 1990. Comment ? Grâce au marché du carbone que nous avons avec la Californie.

Il y a en effet 11 millions de tonne (Mt) de droits d’émission qui ont été remis par des émetteurs québécois au gouvernement en 2020 qui sont directement issus de la Californie. Un droit d’émission, ce n’est pas une réduction, mais bien le droit d’émettre une tonne de GES dans l’atmosphère. Or, la Californie a émis plus de droits que nécessaire. Les 11 Mt de droits californiens, acquis par des émetteurs pour une somme d’environ 256 millions, sont interprétés par le gouvernement du Québec comme des « réductions » de GES en Californie puisqu’on aurait enlevé la possibilité d’émettre des GES là-bas. C’est pour cela que ces 11 Mt sont comptabilisées comme une « réduction » dans le bilan québécois.

Si ce calcul est techniquement correct, c’est une comptabilité un peu créative qui repose sur un grand déséquilibre initial. Celui-ci fait en sorte qu’aucune réduction de GES n’a eu lieu en Californie en contrepartie des achats de droits d’émission par des émetteurs québécois. En 2020, nous sommes bel et bien à 13 % sous le niveau d’émissions de 1990 (et la Californie à 14 % sous son niveau initial), et sans la COVID-19, nous serions à 3 %, ce qui illustre parfaitement le fait que l’approche québécoise pour la réduction des émissions de GES ne fonctionne pas.

Explication du grand déséquilibre

Contrairement au Québec qui visait 20 % de GES en moins en 2020 par rapport à 1990, et qui a déterminé la quantité de droits d’émission en conséquence, la Californie ne visait que 0 % de réduction en 2020 par rapport à 1990. Elle voulait simplement retrouver son niveau de 1990, et non aller en dessous. La quantité de droits d’émission qu’elle a émis et vendu dans le marché du carbone a donc été beaucoup plus grand qu’au Québec.

Imaginez un arbre de Noël sur lequel des cannes de Noël sont disposées par deux tantes : tante Cali et tante Queb. Chaque canne correspond à un droit d’émission. Tante Cali a été généreuse et mis autant de cannes que lorsque la surconsommation de sucre n’était pas un enjeu, et tante Queb a mis 20 % de cannes en moins. Tous les enfants se sont précipités sur les cannes, et certains enfants de Queb ont mangé des cannes de tante Cali. Comme tous les enfants étaient un peu plus raisonnables (on leur avait parlé des caries et des méfaits du sucre), mais surtout un peu malades (peut-être de la COVID-19), ils ont mangé moins de cannes : 13 % de moins au Québec et 14 % de moins en Californie. Personne n’a été frustré dans sa consommation : il est même resté des cannes de Noël sur le sapin. Tout comme il reste des droits d’émission dans le marché. Les enfants de Queb ont mangé des cannes de Cali et donc les enfants de Cali ont eu moins de cannes que ce qu’ils auraient pu avoir. Mais ils en avaient trop dès le départ !

Ils n’ont donc pas réduit leur consommation de cannes, ou ce qui nous intéresse ici, leurs émissions de GES : l’arbre de Noël était trop bien garni de droits d’émission, à cause de tante Cali.

Le marché du carbone est en surabondance de droits d’émission, en grande partie parce que la Californie en a mis beaucoup sur le marché. Les émetteurs québécois en ont bénéficié pour émettre 11 Mt de GES avec des droits californiens, mais sans que les Californiens aient à réduire leurs émissions, puisqu’il y avait plus de droits disponibles que nécessaire.

Ce problème d’abondance est en partie réglé pour 2030 ; la Californie vise un objectif plus ambitieux que le Québec : moins 40 %, contre 37,5 % ici. Nous ne pourrons plus utiliser son excédent de droits d’émissions. Si nous en utilisons, ce sera cette fois-ci parce qu’elle aura fait des réductions réelles, pour nous laisser l’opportunité d’émettre des GES chez nous. Et la comptabilité du gouvernement sera juste.

Mais croire aujourd’hui que le Québec a réduit ses émissions de 26 %, c’est oublier que le père Noël a été très généreux en Californie – et qu’en fin de compte, ce sont les enfants qui ont mangé le plus de cannes qui vont avoir les caries.

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