L’Assemblée nationale a adopté hier, sans réel débat, le projet de loi 4 abolissant l’obligation des députés de prononcer le serment d’allégeance à la Couronne, obligation prévue par l’article 128 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB). Tout le monde s’en réjouira, les élus et la grande majorité des Québécois considérant ce serment comme archaïque.

Cependant, pour parvenir à ses fins, le gouvernement du Québec a choisi une voie mal avisée, celle d’un amendement unilatéral à la Constitution canadienne. Le gouvernement Legault avait déjà fait le coup lors de l’adoption du projet de loi 96, en inscrivant unilatéralement deux ajouts à l’AANB affirmant que le Québec est une nation et que le français y est la seule langue officielle. Comme dans l’affaire du serment, le fond était irréprochable, mais la manière déplorable.

Cette tactique s’inscrit dans un courant de plus en plus fort, provenant de plusieurs provinces, tendant à traiter la Constitution canadienne comme s’il s’agissait d’une courtepointe à laquelle on peut ajouter ou retirer des pièces sans que cela ait de conséquences sur l’ensemble.

L’effet à long terme de ce mouvement sera d’éroder cette Constitution, qui est pourtant le fondement premier du régime fédéral canadien.

Les constitutionnalistes sont divisés sur la question de savoir si une province a le droit de modifier unilatéralement la Constitution canadienne dans certaines circonstances. Au bout du compte, il reviendra à la Cour suprême de trancher. Sur le plan symbolique et politique, toutefois, on peut déjà dire que l’impact de cette approche pourrait être considérable, voire se retourner contre les provinces.

Ainsi, dans son Saskatchewan First Act, le gouvernement de Scott Moe propose de modifier le partage des pouvoirs prévu par l’AANB afin d’étendre la compétence exclusive de la province, notamment sur les émissions de gaz à effet de serre produites sur son territoire. Si une province peut s’arroger des pouvoirs de cette façon, qu’est-ce qui empêchera Ottawa de faire de même ?

PHOTO JASON FRANSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Danielle Smith, première ministre de l’Alberta

La Loi sur la souveraineté de l’Alberta au sein d’un Canada uni, adoptée le 8 décembre par l’Assemblée législative de la province, autorise le gouvernement provincial à ignorer une loi fédérale qu’il juge inconstitutionnelle ou qui « cause des dommages » à la province. Autrement dit, Edmonton se donne le droit d’ignorer toute politique fédérale qui ne fait pas son affaire, même si Ottawa agit dans le cadre de ses propres compétences.

Le recours de plus en plus fréquent à la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés procède de la même logique. Bien que ce recours soit autorisé par la Constitution, la Charte sera nécessairement affaiblie si les provinces en viennent à l’utiliser à tout bout de champ. Une charte des droits pleine de trous ne vaut pas plus que le papier sur lequel elle est écrite.

Contrat fondamental

Il n’est pas inutile de rappeler que dans une fédération, la constitution est le contrat fondamental entre les parties. Le non-respect de ce contrat entraîne des conséquences juridiques, politiques et symboliques. Surtout, si elles se répètent, ces violations affaiblissent le contrat et provoquent la confusion et le ressentiment.

Les provinces, notamment le Québec, ne peuvent invoquer la lettre ou l’esprit de la Constitution dans leurs chicanes avec Ottawa, comme elles le font régulièrement (voir le financement du système de santé), et par ailleurs choisir d’ignorer ou de modifier unilatéralement cette entente fondamentale.

Dans le cas du serment à la Couronne, Québec a décidé d’ajouter à l’article 128 de l’AANB, qui impose cette exigence aux parlementaires fédéraux et provinciaux, l’article suivant : « L’article 128 ne s’applique pas au Québec. »

À combien d’articles de la Constitution les provinces pourront-elles ainsi se soustraire sans l’accord de leurs partenaires ? Si l’on continue dans cette direction, la valeur politique et symbolique de la Constitution canadienne déclinera d’année en année. Or, une fédération sans une constitution forte se trouve gravement fragilisée.

La stratégie du gouvernement dans l’affaire du serment à la Couronne est d’autant plus regrettable qu’il y avait une façon plus simple de procéder, par voie d’amendement à la loi provinciale.

C’est ainsi que le Québec a aboli le conseil législatif (le « sénat » québécois) en 1968. C’est aussi de cette façon que Québec solidaire, dans son projet de loi 190, proposait d’abolir l’obligation de prêter serment au roi ; il aurait suffi de modifier la Loi sur l’Assemblée nationale.

Malheureusement, cela n’a pas été sérieusement discuté à l’Assemblée puisque le débat sur le projet de loi 4 n’a duré que quelques minutes. J’ai appris de ma brève expérience au Sénat du Canada que ce n’est jamais une bonne idée pour un Parlement d’adopter un projet de loi à toute vapeur ; les erreurs, petites et grosses, sont inévitables.

Pendant que la Constitution du pays brûle, celui qui devrait en être le principal gardien, le premier ministre du Canada, joue du violon, ou pire, donne sa bénédiction aux provinces. Est-ce de l’indifférence, du calcul ou de la faiblesse ? Dans tous les cas, le spectacle est navrant.

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