Il y a maintenant plus de deux ans que la statue de Sir John A. Macdonald a été arrachée de son socle à la place du Canada, abattue — à la suite du meurtre de George Floyd — dans la foulée d’un mouvement mondial s’opposant à la célébration publique des personnages racistes du passé.

Depuis sa chute, la statue est entreposée tandis que la Ville de Montréal détermine son sort et celui du monument élaboré qui demeure. Certains indices quant à ce que l’avenir leur réserve ont à présent été révélés dans le rapport préliminaire déposé par un comité spécial, nommé par la Ville et principalement composé d’experts indépendants.

Ce comité mérite d’être félicité pour avoir recommandé sans équivoque que Macdonald ne soit pas réinstallé sur son socle, reconnaissant ainsi que l’époque où l’on célébrait une personne associée à des mesures génocidaires telles que la création des pensionnats pour Autochtones est aujourd’hui révolue. D’autres statues de Macdonald ont d’ailleurs déjà été retirées à Victoria, Regina, Charlottetown et Kingston. Dans ce contexte, la proposition du comité spécial, si elle est acceptée, placerait Montréal du bon côté de l’histoire.

Or, d’une certaine façon, le choix de laisser Macdonald en entrepôt est la partie facile de la démarche ; décider de la suite des choses s’avère plus complexe.

À ce chapitre, le rapport du comité manque un peu d’imagination. Le comité suggère en effet que la Ville recoure à une variété d’outils, dont des techniques numériques, l’installation d’une plaque détaillant la totalité de l’héritage de Macdonald et la tenue d’activités commémoratives annuelles en l’honneur de ceux et celles qui ont souffert de ses gestes.

Mais l’idée la plus visible et la plus coûteuse du comité est la création d’une nouvelle œuvre d’art public sur le piédestal où se dressait Macdonald ou à proximité du monument, œuvre que le comité qualifie de « marquage physique [qui] assurerait la pérennité de la réinterprétation ». Autrement dit, on remplacerait une œuvre d’art public permanente par une autre. Mais pourquoi ?

Partout dans le monde, le paysage est encombré de structures permanentes, qui portent à croire que ce que l’on sait du passé est immuable. Or, le monument à Macdonald montre précisément ce qui se produit lorsque des perspectives et des informations inédites — comme l’exhumation des restes d’enfants morts dans les pensionnats — émergent, laissant derrière elles des structures qui ne sont plus appropriées.

Œuvres en rotation

Il existe cependant un autre modèle qui permettrait de reconvertir le monument de façon moins permanente. Ce modèle se trouve à Londres, à Trafalgar Square, où quatre socles ont été érigés au XIXe siècle afin d’accueillir des statues célébrant un glorieux passé impérial. Si trois de ces piédestaux ont trouvé preneurs, le quatrième est demeuré vide quand les fonds sont venus à manquer, du moins jusqu’en 1998, lorsqu’il est devenu le site d’une série de projets d’art public temporaires qui se poursuit à ce jour. Le Fourth Plinth (« Quatrième socle ») connaît un immense succès, attirant des visiteurs du monde entier venus voir les œuvres en rotation.

Montréal a maintenant l’occasion d’adopter le même concept pour l’espace laissé vacant par la statue de Macdonald.

Guidés par les communautés touchées par les politiques de Macdonald, des artistes pourraient élaborer des projets temporaires inspirés par divers aspects de son héritage.

L’espace reconverti amplifierait ainsi les voix des communautés racisées qui ont le plus souffert de ses gestes.

Et comme il s’agirait d’installations temporaires, elles ne comporteraient pas les mêmes coûts qu’un projet permanent. Un tel programme nous permettrait par ailleurs de transcender la notion du XIXe siècle voulant que la représentation publique du passé doive être taillée dans la pierre ou coulée dans le bronze. Des voix souvent exclues de l’espace public pourraient alors être entendues.

Nous avons ici une chance de réaliser quelque chose d’important et d’original, à condition de faire preuve d’imagination.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion