Dans le gouvernement qu’il vient de former, le premier ministre François Legault a placé Pascale Déry à la tête de l’enseignement supérieur et confié l’économie, l’innovation et l’énergie à Pierre Fitzgibbon. En début de mandat, ces deux ministres devraient très sérieusement s’inquiéter de la manière dont les Fonds de recherche du Québec (FRQ) tentent depuis plus d’un an de mettre au pas les universitaires, en détournant de leur fonction première les bourses destinées aux étudiants de maîtrise et de doctorat.

On sait que les FRQ ont d’abord pour vocation « de promouvoir et d’aider financièrement la diffusion des connaissances » dans toutes les disciplines, selon la Loi sur le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche, de la science et de la technologie (III, § 2, 39). Mais depuis 2021, sur des bases strictement idéologiques, et sans véritable consultation, ils ont imposé de nouveaux critères dans l’évaluation des demandes de bourse : les ODD ou « objectifs à développement durable » (définis par l’ONU) et les EDI pour « équité, diversité et inclusion ».

Rappelons pour commencer que les montants annuels de ces bourses, jugés déjà trop faibles par les étudiants, s’élèvent pour les maîtrises à 17 500 $ (soit 35 000 $ sur deux ans) et pour les doctorats à 21 000 $ (soit 84 000 $ sur quatre ans).

Désormais, pour avoir des chances d’être financés, une astrophysicienne qui s’interroge sur l’âge de l’Univers ou un historien qui travaille sur la société féodale doivent se soumettre aux normes sociales et environnementales dictées par le Guide des FRQ, même si ces normes ne correspondent en rien aux objectifs de leurs travaux.

Tisser un lien, forcément artificiel, entre l’étude du Livre d’heures de Marguerite d’Autriche et les « 17 objectifs pour sauver le monde » dont s’est doté l’ONU n’a bien sûr aucun sens, mais les candidats sont forcés de s’y plier ! Quand ils ne parviennent pas à s’y conformer, ce qui arrive fréquemment, ils sont malgré tout priés de s’en justifier au moment de déposer leur dossier.

Des critères arbitraires

Ces critères à géométrie variable ont fort peu à voir avec le monde de la science. Si d’aventure ils conviennent à une thèse d’écologie appliquée, il n’en va pas de même dans le cas d’un mémoire consacré à la philosophie de René Descartes. Ils rendent donc arbitraire l’évaluation des demandes de bourse. Pour les candidats, ils ont de plus graves conséquences encore. Au cours de la dernière année, on en aura vu certains multiplier dans leur dossier les preuves de leur engagement citoyen : se dire représentants de la diversité sexuelle, faire du compost au fond de leur jardin, accompagner des membres vieillissants de leur famille dans une Résidence Soleil…

Le milieu savant est conscient des inégalités qui le traversent et de la nécessité d’améliorer l’accès de certaines catégories de personnes aux bourses et aux postes. Mais demander aux étudiants qu’ils prennent en charge la correction de ces inégalités par des projets de recherche désormais alignés sur des exigences externes liées aux ODD et aux EDI, c’est se tromper carrément de cible. C’est confondre les niveaux d’action et détourner, sans mandat, les FRQ de leur mission première. Pire encore, ces critères tendent à aggraver la fracture sociale, comme en témoigne Adeline, étudiante de littérature : « Je suis trop pauvre pour faire du bénévolat. Je dois d’abord travailler pour payer mes études. »

Par-dessus tout, ces nouveaux critères mettent directement en cause la liberté universitaire, puisqu’ils soumettent d’emblée les chercheurs à une orthodoxie, voire à un militantisme de vitrine.

Ils amalgament le principe de l’excellence scientifique, normalement défendu par les FRQ, et des enjeux de justice sociale en soi légitimes, mais résolument distincts. Le 27 avril dernier, plus de 140 universitaires de toutes disciplines et sensibilités ont envoyé à ce sujet une lettre longuement argumentée à la direction des FRQ. Ils l’alertaient sur ces amalgames, les conséquences dommageables pour la population étudiante, et pour le devenir de la recherche fondamentale sur le long terme. Les FRQ ont attendu le 30 juin pour leur répondre, au moment où s’achevait l’année universitaire. Ils leur ont opposé une fin de non-recevoir, considérant même qu’ils agissaient en « mandataires de l’État » d’après la Loi sur le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche… (II, § 1, 23). Ils oubliaient curieusement de préciser que le même article de loi ajoutait deux lignes plus bas que « les fonds n’engagent qu’eux-mêmes lorsqu’ils agissent en leur nom ».

Il saute aux yeux que les critères ODD et EDI, introduits de force par les Fonds de recherche du Québec, entrent en contradiction ouverte avec la loi 32 destinée à garantir l’exercice de la liberté universitaire en dehors de toute « contrainte doctrinale, idéologique ou morale » (art. 3). C’est pourquoi nous appelons tous les candidats aux bourses de maîtrise et de doctorat à contester l’issue des concours 2022-2023. Nous appelons également les collègues concernés à neutraliser ces critères au moment où ils siégeront aux comités d’évaluation, par exemple en accordant aux candidats le maximum de points sous cette rubrique, afin de ne pas les pénaliser.

Selon les mots du scientifique en chef lui-même, Rémi Quirion, qui préside les conseils d’administration des trois fonds (Nature et Technologie ; Santé ; Société et Culture), le Québec est une société apprenante. Il reste que ce n’est pas en recrutant de jeunes chercheurs sur la base de leurs convictions morales personnelles que les savoirs progresseront, mais bien en raison de leur parcours universitaire, de leurs aptitudes intellectuelles et de l’originalité de leur pensée, bref, de tout ce qui fait la valeur intrinsèque de la recherche.

* Cosignataires : Isabelle Arseneau, professeure à l’Université McGill ; Thierry Nootens, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion