Au Canada, un pays riche, les systèmes provinciaux de santé craquent de partout, de sorte qu’il faut souvent attendre des semaines, voire des mois pour avoir accès aux soins. Investir des milliards supplémentaires ne réglera pas tous les problèmes, mais ça n’en est pas moins nécessaire. Cet argent, c’est le gouvernement fédéral qui l’a. Malheureusement, Ottawa essaie de tordre le bras des provinces pour qu’elles acceptent ses conditions avant d’obtenir tout financement supplémentaire. Dans ce dossier, le gouvernement Trudeau a tort.

Bien qu’il y ait, comme toujours, une guerre de chiffres entre Ottawa et les provinces, il est indéniable que la part fédérale des dépenses publiques en santé a diminué au fil des ans. Les premiers ministres provinciaux réclament que cette proportion passe immédiatement de 22 % à 35 %, ce qui coûterait 28 milliards de dollars au fédéral dès la première année, et placerait Ottawa en position déficitaire de 50 à 60 milliards par année dans l’avenir prévisible. De toute évidence, la demande des provinces est déraisonnable.

Lors de la plus récente rencontre des ministres de la Santé, la semaine dernière, le ministre canadien, Jean-Yves Duclos, a refusé de parler chiffres, se contentant d’admettre du bout des lèvres que les transferts fédéraux en santé devaient augmenter.

M. Duclos était surtout désireux de parler des conditions que le fédéral veut voir les provinces accepter avant que des milliards supplémentaires ne leur soient versés.

Publiquement, le ministre fédéral s’est contenté de phrases creuses, de sorte qu’il est difficile d’avoir une idée précise des exigences d’Ottawa. On sait toutefois que celles-ci tournent autour du partage des données sur la santé. Notamment, le fédéral voudrait tenir une banque de statistiques sur la main-d’œuvre dans les réseaux de la santé, le but ultime étant que les exigences relatives à la formation professionnelle soient standardisées d’un océan à l’autre. La mobilité du personnel d’une province à l’autre s’en trouverait facilitée.

De plus, Jean-Yves Duclos voudrait voir les provinces participer à un « système de données sur la santé de calibre mondial ». Or, si on se fie au plus récent rapport du groupe d’experts mandaté par Ottawa pour le conseiller dans la mise en place d’un tel système, la bibitte serait terriblement complexe. Je cite un passage dudit rapport : « La mise en œuvre de la Stratégie par les différentes administrations serait informée par un Conseil de gérance de l’information sur la santé (le Conseil) fondé sur les compétences et facilitée par un ou plusieurs représentants de la ou des table(s) du système de santé apprenant (SSA), responsables devant la Conférence des sous-ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé. Le Conseil et la ou les table(s) du SSA soutiendront la souveraineté des données des communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis et s’assureraient que leurs organes représentatifs et leurs gouvernements soient dûment impliqués. La ou les table(s) du SSA travailleront avec le Conseil pour établir des feuilles de route intégrées en vue de la mise en œuvre du système de santé apprenant et sécuriser les investissements et le financement de la Stratégie. »

Ouf ! Si c’est de cette hydre que M. Duclos a parlé à ses homologues, ceux-ci ont eu raison de protester.

Les solutions ne viendront pas d’Ottawa

Le gouvernement Trudeau a-t-il raison d’être inquiet des problèmes qui minent les réseaux de la santé du pays ? Bien sûr. Les politiciens fédéraux ont-ils raison de dire que l’argent seul ne règlera pas ces problèmes ? Tout à fait. Cependant, ils sont dans le champ quand ils prétendent que les solutions viendront des bureaucrates assis dans leurs bureaux d’Ottawa, surtout quand on sait les difficultés auxquelles font face ces mêmes bureaucrates dans la gestion des domaines de compétence fédérale, de l’émission de passeports à la gestion de l’immigration, en passant par la paie des employés du gouvernement.

En ce qui a trait au partage de données, il existe déjà un Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), qui fait un excellent travail.

Certes, pour améliorer l’efficacité des systèmes de santé du pays, les provinces doivent produire davantage de données, non seulement sur leurs dépenses, mais sur les effets de ces investissements sur les soins aux patients. Autant que faire se peut, ces données devraient être standardisées afin de faciliter les comparaisons interprovinciales et internationales. Les provinces devraient s’engager à faire ce travail, et Ottawa devrait mandater l’ICIS pour qu’il coordonne le tout. Les statistiques ainsi produites ne serviraient pas à rendre des comptes au gouvernement fédéral, mais favoriseraient la responsabilisation des gouvernements des provinces à l’égard de leur population.

Pour ce qui est du nerf de la guerre, le financement, le gouvernement Trudeau devrait cesser de tourner autour du pot et déposer sans attendre une proposition chiffrée qui tient compte de sa marge de manœuvre fiscale. Le montant total et le taux de croissance devront être substantiels. Cependant, les provinces savent très bien qu’elles n’obtiendront pas les énormes sommes qu’elles réclament sur la scène publique.

Bref, faisant abstraction des effets de toge des politiciens, un compromis peut être trouvé. Il y a urgence d’agir. Il n’est pas excessif de rappeler que des vies sont en jeu.

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