Le spectacle de la cinquième élection en Israël en moins de cinq ans serait pitoyable si ce n’était des acteurs impliqués et des conséquences du retour de Bibi Nétanyahou à la barre.

La menace de l’arrivée de l’ultra-nationaliste Itamar Ben-Gvir à la tête de n’importe quel ministère est un affront à la démocratie et aux prétentions israéliennes en matière de droits de la personne. Ce sinistre personnage est à la tête du parti d’extrême droite du Pouvoir Juif (Otzma Yehudit), qui est arrivé au deuxième rang des partis appuyant Nétanyahou et au troisième rang dans le pays. Il s’est fait connaître pour son idéologie profondément hostile aux Arabes, qu’il a même menacés tout récemment, une arme à la main.

Le fait que Washington se soit contenté d’exprimer ses inquiétudes devant la montée de la violence en Palestine sans dénoncer l’individu démontre l’inféodation totale et presque crapuleuse de toutes les administrations américaines confondues aux désiderata d’Israël depuis 70 ans et plus, dès lors que les liens avec les pays arabes n’en souffrent pas ou plus. Il faut dire que ces derniers, ayant récupéré il y a bien longtemps la presque totalité des territoires occupés par Israël, à l’exception des hauteurs du Golan pour la Syrie et les Fermes de Shebaa revendiquées par les trois parties, se sont désintéressés du sort des Palestiniens.

Le journal Le Monde évoque « un nouveau visage de l’État hébreu [qui] se dessine... [qui] devrait imposer à ses alliés occidentaux un réexamen de leurs relations avec Israël », ni plus ni moins. Thomas Friedman, du New York Times, est lapidaire : « Le gouvernement qui émerge ressemblerait à la réélection de Trump avec Guiliani comme ministre de la Justice, Flynn comme ministre de la Défense et le chef des Proud Boys comme chef de la Sécurité nationale ».

Ce qui est terrifiant, c’est la montée la plus forcenée de l’extrême droite dans le paysage politique d’Israël. Le réexamen qu’évoque Le Monde souligne le silence obscène de l’administration américaine face à la colonisation ininterrompue en Cisjordanie et « le mépris quotidien envers les droits les plus élémentaires des Palestiniens » et sonne le glas de la solution des deux États.

Cette montée de la droite s’est accompagnée d’un climat de violence inégalée et continue en Cisjordanie – donc pas seulement à Gaza – entre toutes les composantes de la société : attaques contre les Arabes israéliens, rixes entre ces derniers, guerres de gangs, crime organisé contre des Juifs israéliens dans des communautés mixtes, notamment dans la ville d’Hébron, foyer d’exactions continues contre la population arabe. Bref, une situation qui permettra à des Ben Gvir et aux autres de son espèce de se lancer dans une guerre ouverte contre tout Palestinien qui oserait protester contre les autorités israéliennes.

Ce qui se passe en Israël ne fait que confirmer l’analyse qu’offrait en février dernier Amnistie internationale sur le délitement profond et brutal des droits de la personne en Israël et la politique d’apartheid du régime en place. Évidemment, ce rapport avait suscité des réactions pavloviennes tant du côté gouvernemental israélien que de la diaspora juive dans le monde. Il en sera sans doute de même pour le gouvernement de Nétanyahou, légitimement élu aux yeux de la communauté internationale bien-pensante. Toute critique envers Israël suscitera des dénonciations hystériques et accusations d’antisémitisme, au même diapason que celles touchant la volonté de la Cour pénale internationale d’examiner si des crimes correspondant à la juridiction de la Cour ont été commis par Israël contre les Palestiniens dans les Territoires occupés.

L’évocation d’un régime d’apartheid en Israël provoque toujours une levée de boucliers. Pourtant, d’aucuns le reconnaissent. Après tout, l’ancien président américain Jimmy Carter avait bien publié un ouvrage choc – Palestine : la paix, pas l’apartheid – dont bien des lecteurs mobilisés avaient dénoncé des inexactitudes au lieu de saluer l’importance de la dénonciation. D’ailleurs, au fil des ans, des sommités israéliennes ont elles-mêmes dénoncé une situation de fait dans les territoires occupés. Faut-il rappeler que le président Obama, pour la première fois dans l’histoire politique américaine, avait refusé d’exercer son droit de veto contre une résolution dommageable pour Israël au Conseil de sécurité des Nations unies. Le résultat de ce vote le 23 décembre 2016, deux semaines avant l’investiture de Trump, a été la résolution 2334 qui prévoit un examen trimestriel du Conseil sur la situation dans les territoires occupés par Israël ainsi qu’à Gaza, examen qui se poursuit de nos jours. Cette résolution précise : « La résolution 2334 (2016) exige d’Israël qu’il “arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est” et “respecte pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard” ».

Il est dommage que ces rapports trimestriels, accablants pour Israël, soient rarement rapportés dans la presse internationale, blasée 90 % du temps, face à un conflit presque centenaire. Pourtant, c’est bien Nétanyahou qui, en 2021, a prononcé cette phrase lapidaire : « Israël n’est pas un État de tous ses citoyens mais plutôt l’État-nation du peuple juif et seulement eux ». Pourquoi parle-t-on d’apartheid ?

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