Au moment d’écrire ces lignes, les États-Unis sont plongés dans l’incertitude politique : quel parti contrôlera la majorité des sièges à la Chambre des représentants ? Il va sans dire que la réponse à cette question revêt une grande importance. Si le président Biden doit composer avec une Chambre contrôlée par les républicains, cela ralentira ses élans législatifs durant les deux prochaines années.

Mais ça, c’est ce qui nous attend à partir de 2023 sous, peut-être (incertitude oblige), une gouverne républicaine à la chambre basse du Congrès. Il reste cependant un peu plus de sept semaines durant lesquelles il n’y a absolument aucune incertitude : les démocrates sont majoritaires à la Chambre des représentants et au Sénat jusqu’à la fin de l’année. Et ils comptent profiter de cette période postélectorale pour s’attarder à plusieurs enjeux législatifs et budgétaires de taille.

Les canards boiteux

Il existe aux États-Unis une période entre la tenue des élections en novembre et le début de la nouvelle session législative (ou du mandat exécutif dans le cas d’un président) en janvier : cette période est surnommée lame duck ou canard boiteux, une expression qui fait référence aux élus dont le mandat est sur le point de se terminer. Leur influence s’estompe. Ils sont boiteux.

Malgré cette image peu reluisante, cette période est souvent féconde sur le législatif.

Libérés du joug électoral, les canards boiteux peuvent causer surprise en appuyant des textes de loi auxquels ils se seraient normalement opposés.

Ce fut le cas en décembre 2020 lorsque le Congrès a accordé plus de 900 milliards de dollars d’aide face à la crise sanitaire. Après des mois de négociations infructueuses, une fois l’élection terminée, les deux partis sont parvenus à un compromis. Résultat ? Une loi gigantesque débloquant plus de 2300 milliards de dollars.

Et tout laisse croire que la session lame duck débutant cette semaine sera très remplie. Voici quelques priorités à l’ordre du jour.

Réponse à l’attaque du Capitole

La commission d’enquête sur l’attaque du Capitole du 6 janvier doit publier son rapport avant la fin de l’année. Cela aura l’effet d’une bombe, surtout si elle y ajoute des recommandations sur la délicate question d’une inculpation de l’ex-président Trump. L’autre réponse législative à cette attaque fut de modifier le processus régissant la certification des votes du Collège électoral. La Chambre et le Sénat ayant chacun entériné ses amendements à l’Electoral Count Act, ils devront trouver un terrain d’entente avant que la réforme puisse obtenir l’aval du président.

Enjeux fiscaux et budgétaires

Un des premiers enjeux auxquels le Congrès devra faire face en 2023 est celui du relèvement du plafond de la dette publique. Aux États-Unis, le Congrès doit autoriser ce relèvement permettant au gouvernement d’emprunter les sommes nécessaires pour respecter ses obligations. Or, l’actuel leader républicain à la Chambre, Kevin McCarthy, a annoncé qu’il refuserait de relever ce plafond à moins que les démocrates soient d’accord pour réduire certaines dépenses. Sachant cela, les démocrates ont tout intérêt à relever ce plafond avant la fin de l’année. Certains démocrates parlent même de modifier ce processus pour ne pas avoir à répéter cette danse lorsqu’il s’agit simplement de donner au gouvernement fédéral la capacité financière de s’acquitter de ses obligations.

Qui dit dette dit aussi dépenses. Et aux États-Unis, les dépenses militaires sont de taille. La Chambre a adopté en juillet le National Defense Authorization Act prévoyant plus de 800 milliards de dollars pour la défense nationale durant la prochaine année fiscale. C’est maintenant au tour du Sénat d’emboîter le pas. Il y a aussi la question d’une aide supplémentaire à l’Ukraine qui pourrait faire l’objet d’un vote, car rien ne garantit qu’une majorité républicaine continuera d’appuyer l’Ukraine militairement et financièrement.

Outre les dépenses militaires, il est aussi question d’une résolution budgétaire que les deux chambres du Congrès et le président doivent adopter, faute de quoi il y aura une fermeture du gouvernement fédéral en décembre. Et les démocrates voudront à tout prix éviter un shutdown du gouvernement.

En réponse à la Cour suprême

En juillet dernier, la Chambre a entériné la loi Respect for Marriage Act garantissant l’égalité et la reconnaissance légale des mariages entre personnes du même sexe et des mariages interraciaux. Cette loi protège un droit qui, aux yeux de plusieurs, est aujourd’hui menacé par le virage conservateur à la Cour suprême. Le Sénat avait mis les négociations sur la sellette, car les démocrates ont besoin d’au moins 10 votes républicains, un défi de taille en pleine campagne électorale.

Une danse à deux

Une chose est certaine : les démocrates détiennent encore la majorité au Congrès et ils voudront agir rapidement. Or, au Sénat, les républicains peuvent bloquer des projets de loi au moyen de la manœuvre législative du filibuster. Il faudra donc que les démocrates et les républicains négocient de bonne foi. Cette danse des canards, elle devra se faire à deux.

* Antoine Yoshinaka enseigne la politique américaine et les méthodes quantitatives. Ses travaux portent sur les institutions politiques, les élections et les partis politiques aux États-Unis. Il est également chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.

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