À l’occasion des récentes élections générales au Québec, différents observateurs de la scène publique ont relevé la contradiction qui existait, en apparence du moins, entre les promesses de la Coalition avenir Québec de verser des sommes d’argent aux contribuables et de baisser les impôts et ses demandes répétées à Ottawa de hausser les transferts en matière de santé.

Selon ces commentateurs, les promesses en question démontrent que le Québec ne manque pas d’argent et que, par conséquent, il devrait peut-être cesser de « supplier » le gouvernement fédéral de bien vouloir lui en transférer. Toujours lors de la même campagne électorale, le premier ministre Justin Trudeau a esquissé un sourire lorsqu’un journaliste lui a demandé si cette prétendue contradiction n’affaiblissait pas, en fait, les arguments, l’orientation et les réclamations du Québec.

Ces jours derniers, Québec et Ottawa se sont renvoyé la balle en ce qui touche le financement de la santé et la qualité des soins médicaux.

Ottawa se dit prêt à financer davantage la santé, mais avec des fonds ciblés ou d’autres types de conditions. Le premier ministre Trudeau reproche au gouvernement du Québec de ne pas en faire assez en matière de santé. Le gouvernement du Québec blâme pour sa part le gouvernement canadien pour son interventionnisme en la matière, et déplore que ce dernier prétende mieux connaître que les provinces les besoins réels de la population.

Il est vrai qu’a priori, les promesses de François Legault, visant le renforcement du pouvoir d’achat des contribuables québécois au moyen de baisses d’impôt, fragilisent la position du Québec en ce qui touche les transferts en matière de santé, mais il ne devrait pas en être ainsi. En effet, l’exercice du pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence provinciaux — sur lequel reposent précisément les transferts provinciaux en santé — ne devrait en rien conditionner les choix budgétaires des gouvernements provinciaux.

En 2007, le premier ministre Jean Charest avait choisi d’utiliser de l’argent provenant d’Ottawa pour baisser les impôts. C’était dans le contexte où le premier ministre Stephen Harper avait révisé la péréquation dans le but de réduire le déséquilibre fiscal. Le geste fait par Jean Charest avait alors été très mal reçu par le gouvernement canadien, mais le premier ministre Charest avait raison, somme toute. Lorsqu’Ottawa se plaît à intervenir dans les champs de compétence provinciaux, il n’est que normal que cela ne restreigne pas ni n’entache de quelque façon que ce soit la marge de manœuvre et les choix financiers des provinces.

Une menace pour le principe fédératif

Sans être une anomalie constitutionnelle à proprement parler, le recours au pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence provinciaux menace à long terme la viabilité du principe fédératif lui-même, en ce qu’il assujettit les provinces aux volontés des instances fédérales et les rend dépendantes de l’argent émanant des goussets de ces dernières. L’effet du pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence provinciaux est insidieux, sournois.

Pourtant, dans diverses décisions, la Cour suprême du Canada semble cautionner, valider l’exercice du pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence provinciaux. Dans l’arrêt Chaoulli par exemple, la Cour suprême va même jusqu’à valider la Loi canadienne sur la santé, laquelle permet aux autorités fédérales d’imposer leurs vues aux provinces, dans un champ de compétence essentiellement (mais non exclusivement) provincial. La Cour rappelle même, avec approbation, les énoncés contenus dans le rapport Romanow de 2002, voulant que cette loi ait acquis avec le temps le statut d’icône, la mettant hors de portée des politiciens.

Le gouvernement du Québec doit maintenant s’inscrire en faux contre cette logique politique se transformant en tendance jurisprudentielle.

Il doit rappeler qu’en matière de santé, les sommes d’argent provenant des institutions fédérales ne doivent pas être assorties de conditions. Il doit autant que possible rechercher la conclusion d’une entente asymétrique, bilatérale et inconditionnelle, comme celle qu’avait conclue les gouvernements du Canada et du Québec en 2003, sous les gouvernements Martin et Charest.

Le fait pour le gouvernement Legault d’accepter des conditions relativement aux transferts fédéraux en santé reviendrait à ouvrir la vanne pour l’avenir. Une fois ouverte, elle ne peut être refermée que très difficilement. Le Québec (tout comme les autres provinces) doit à tout prix chercher à contenir le déferlement de mesures fédérales assorties de conditions.

Le dossier du financement de la santé couve-t-il possiblement un nouveau conflit intergouvernemental ? Peu importe. Que Québec heurte parfois Ottawa, sur des questions de principe qui touchent au cœur de l’évolution du fédéralisme canadien, ne devrait offusquer personne. À vrai dire, cela fait partie, qu’on le veuille ou non, de la dynamique fédérative propre au Canada.

Dans toute cette négociation en matière de santé qui est déjà entamée entre les gouvernements fédéral et provinciaux, il peut d’ailleurs y avoir certains points de convergence, c’est-à-dire des cas où les objectifs fédéraux coïncideront avec les objectifs provinciaux. Cela pourrait favoriser les compromis. Mentionnons à cet égard la volonté fédérale d’obliger les provinces à développer et publier leurs données⁠1. Loin de comporter une reddition de comptes, cette demande fédérale pourrait ouvrir la voie à la création d’un système de données pancanadien, ce qui ne pourrait que réjouir les citoyens et les professionnels de la santé.

1. Lisez la chronique de Paul Journet : « Si on osait se mesurer » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion