L’Ukraine risque-t-elle de perdre l’appui des Occidentaux dans son combat contre la Russie ? Les Américains et plusieurs gouvernements européens commencent à le croire.

Il y a quelques jours, des membres de l’administration Biden ont délibérément révélé au grand public à travers le Washington Post l’insatisfaction du président et de son équipe envers l’attitude du président Volodymyr Zelensky concernant d’éventuelles négociations de paix avec les Russes. Grisé par quelques succès militaires, le président ukrainien est entré dans une logique absolutiste où il écarte l’idée de négocier avec Poutine, pose des conditions difficilement acceptables pour ouvrir un dialogue, et insulte les Occidentaux qui ne l’aideraient pas suffisamment. Biden a été obligé de lui dire de cesser ce comportement.

À force de cracher dans la soupe, Zelensky risque de ne plus s’en faire servir, dit-on à Washington.

Le consensus pro-Ukraine qui tenait depuis le 24 février aux États-Unis et en Europe est en train de se fracturer. Le résultat des élections de mi-mandat mardi aux États-Unis le confirme. Quel que soit le parti qui remportera les élections, de nombreux candidats pro-Trump, ceux pour qui le slogan « America First » veut dire quelque chose en politique étrangère, ont gagné.

En effet, les républicains ont perdu rapidement leur enthousiasme envers l’Ukraine au fur et à mesure que les prix de l’essence et de la nourriture, l’inflation et les taux d’intérêt ont augmenté. Les derniers sondages indiquent que la moitié des électeurs républicains trouve que le gouvernement en fait trop pour l’Ukraine.

Plus inquiétant pour le gouvernement ukrainien, la classe politique américaine est de plus en plus divisée. À la Chambre des représentants, les appuis fondent.

En avril, seulement 10 représentants républicains sur 210 avaient voté contre l’aide à l’Ukraine. Un mois plus tard, ils étaient 57. Les nouveaux représentants pro-Trump élus mardi et qui accéderont aux affaires en janvier vont grossir cette opposition.

Du côté démocrate, Biden ne peut plus compter sur l’unanimisme des premiers jours. Il y a quelques semaines, une trentaine de représentants démocrates a réclamé l’ouverture d’une initiative diplomatique pour mettre fin à la guerre. Sous la pression du lobby pro-ukrainien, le groupe a retiré sa pétition, mais le message a été reçu cinq sur cinq à la Maison-Blanche. Seul le Sénat demeure très majoritairement pro-Ukraine, mais le vent pourrait bien tourner au vu des difficultés économiques.

En Europe, la montée des partis d’extrême droite, en Italie et en Suède, après la Hongrie, la Slovénie, la Serbie, ne laisse présager rien de bon malgré une rhétorique atlantiste et pro-ukrainienne. Et les alliés traditionnels commencent à ressentir « une fatigue envers l’Ukraine », selon un haut responsable américain.

Sur le front intérieur, la situation est catastrophique pour l’Ukraine. Les victoires militaires ne peuvent masquer le fait que ce sont bien les Ukrainiens qui souffrent de cette guerre, pas les Russes.

Tous les indicateurs sont au rouge. Il y a quelques semaines, la Banque mondiale a dressé un premier état des lieux six mois après le début de la guerre. Ainsi, l’Ukraine, déjà le pays le plus pauvre d’Europe après la Moldavie, souffre énormément des effets de la guerre, avec une contraction de son PIB de 35 % attendue pour 2022 (3 % pour la Russie).

Malgré l’aide occidentale, la situation ne va pas s’améliorer, du fait de la destruction de la capacité industrielle, des dommages sur les terres agricoles et de la baisse de la main-d’œuvre. À ce tableau, il faut ajouter la destruction récente de 30 à 40 % des infrastructures énergétiques et sanitaires qui prive la population d’électricité, de chauffage et d’eau.

Le pays a perdu presque 20 % de son territoire dont les riches régions industrielles et minières de l’Est et du Sud et quelque 14 millions de personnes sur une population de 37 millions sont réfugiées à l’étranger ou déplacées à l’intérieur du pays. Un mouvement de population jamais vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’administration Biden est de moins en moins intéressée par l’Europe. Elle est obsédée par l’Asie, et en particulier par la Chine. La guerre en Ukraine est une distraction. Washington cherche une sortie de crise rapide, car il redoute que l’enlisement actuel des Ukrainiens et des Russes sur le champ de bataille prolonge la guerre de plusieurs années. Si cela devait s’avérer, un tel scénario comporterait des risques dont les effets pourraient se retourner contre l’Ukraine. La détérioration de l’économie mondiale au cours des prochaines années pourrait mettre à mal la solidarité occidentale envers Kiev. Et l’entrée éventuelle de Donald Trump dans la course à la présidentielle n’augurerait rien de bon pour le régime Zelensky.

Les émotions ne doivent pas tenir lieu de raisonnement, rappellent les diplomates. Il incombe maintenant au gouvernement ukrainien de les maîtriser et de retrouver le sens de la mesure afin de prendre une décision difficile.

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