7 h du matin : Rébecca et moi partons à la course. L’avenue des Pins est éventrée – zigzags entre les cônes orange, bulldozers et fissures qui sculptent les trottoirs. Plus haut, le mont Royal, la statue, les sentiers sous les arbres dénudés. Ça se bouscule dans les escaliers que je grimpe deux marches à la fois, me faufilant dans une mer de touristes et de flâneurs. Les gratte-ciels et Leonard Cohen (non, ce n’est pas mon cousin) se profilent au-devant de montagnes si familières.

Mes souvenirs au belvédère sont nombreux. J’y suis allé aussi pour chiller jusqu’à 4 h du matin, pour boire un thé avec un ami en quête de lumière, pour une date Tinder, pour accompagner de la visite en plein hiver et graver les sentiers enneigés. Pour pleurer, pour rire, pour m’y confier, pour rien du tout.

Le belvédère, l’oratoire Saint-Joseph, Orange Julep, Bâtiment 67, le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine – tous ces lieux sont marquants dans l’imaginaire collectif de notre chère métropole. Mais qu’en savons-nous vraiment ?

Cette semaine, grâce à la balado du remarquable Serge Bouchard et à la monotonie de l’autoroute 20, j’ai appris que ce belvédère porte un nom, celui de Kondiaronk.

Écoutez la balado de Serge Bouchard à Radio-Canada

Un chef autochtone, guerrier, grand diplomate, orateur hors pair et artisan du traité de la Grande Paix de Montréal signé en 1701. Celui aussi surnommé « le Rat » était souvent convié chez Frontenac et les jésuites pour des soirées de débats animés. Son plus grand exploit rapporté fut de rassembler quelques 36 nations autochtones dans un traité de paix inédit, qui lui coûte la vie. En effet, au lendemain d’un discours dit sensationnel de deux heures pour convaincre l’assemblée, Kondiaronk rend l’âme. On lui rendra des obsèques d’envergure.

Je cours et je constate l’ignorance individuelle et collective de notre Histoire. De ce sur quoi est bâti le Québec d’aujourd’hui.

De ce qu’on choisit de raconter et de ce qu’on choisit de garder sous silence. Notre ville, notre province, notre planète sont remplies de ces vestiges invisibilisés, de ces non-lieux, de ces ruines sur lesquelles les tours de condos se bâtissent, telles des strates sédimentaires s’empilant les unes sur les autres. Ce qu’on oublie refait surface aussi sûrement que les coquillages à marée basse.

L’Histoire doit demeurer vivante

Cette Histoire n’est pas révolue : elle poursuit sa marche aussi inexorablement que le temps nous coule entre les doigts. Cette Histoire, nous avons la fâcheuse tendance de l’enseigner selon les actions d’individus, principalement d’hommes, agissant selon un génie inné et singulier.

Qu’est-ce qui incite nos comportements, si ce n’est les valeurs, normes sociales et cadres collectifs de l’époque ? Si ce n’était Christophe Colomb et Jacques-Cartier, d’autres, semblables, les auraient inévitablement remplacés. Et pourtant, si ce n’était le discours-fleuve de Kondiaronk, le traité de paix de Montréal aurait-il été signé ?

La prochaine fois que vous allez vous balader sur le mont Royal et, juché contre la balustrade du belvédère, vous contemplez l’horizon : prenez une grande inspiration, regardez ce qui n’est pas visible et prenez conscience du silence.

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