Les républicains vont connaître un fort succès aux élections du 8 novembre prochain. En Floride, le gouverneur Ron DeSantis sera réélu. Son parti maintiendra son emprise sur la législature d’État. Le sénateur Marco Rubio sera reporté à Washington.

Au niveau national, le Parti républicain prendra le contrôle de la Chambre des représentants et peut-être même du Sénat. Il est possible que des républicains conquièrent des postes de gouverneur dans des États traditionnellement démocrates (l’Oregon, l’État de New York).

Les médias attribueront la défaite démocrate à l’impopularité du président Joe Biden, à l’insatisfaction devant l’inflation et à la criminalité. Sera mise en compte aussi la campagne démocrate qui a trop mis l’accent sur l’avortement et n’a pas su parler aux citoyens des sujets du moment qui les préoccupent. C’est bien vrai.

Mais derrière ces facteurs, il s’en trouve au moins deux autres qui valent la peine d’être analysés : le poids du passé (lointain et récent) et le pouvoir de la fabulation dans le nouveau système médiatique créent par les réseaux (anti)sociaux.

Dans le premier se trouve le phénomène bien connu de rejet par l’électorat du parti au pouvoir durant les midterms. C’est une sorte de réflexe automatique.

Après avoir élu un gouvernement, les Américains lui coupent les ailes à la première occasion. C’est seulement dans des circonstances exceptionnelles que le parti à la Maison-Blanche maintient son influence au Congrès fédéral.

Cette étrange coutume est facilitée par la Constitution américaine en ce qu’elle prévoit le renouvellement de la Chambre des représentants et du tiers du Sénat tous les deux ans. La Constitution américaine est la première constitution démocratique de l’histoire du monde moderne. C’est une très vieille constitution qui n’est plus à la hauteur d’une gouvernance démocratique efficace et vigoureuse. Dans les autres démocraties, un gouvernement élu reçoit un mandat de quatre ou cinq ans avant d’avoir à déposer un bilan devant les électeurs. Cela permet une meilleure continuité dans la gouvernance et la présentation de résultats tangibles, que les électeurs peuvent alors évaluer le temps venu.

Dans un monde moderne marqué par la complexité et la lourdeur à tous les niveaux (institutions, politiques publiques, structure économique, évolution sociale), des élections législatives tous les deux ans ouvrent la porte à un effet de contrecoup (whiplash) qui nuit à la solution des problèmes politiques et entrave le progrès. Les Américains ont besoin d’une refonte de leur constitution, mais n’y songez même pas. C’est un dogme incontournable de la culture politique en ce pays que la Constitution est d’inspiration divine et que les problèmes du système résultent non pas des institutions, mais du vice des politiciens.

Le passé plus récent sert aussi à piéger l’administration Biden.

Les États-Unis vivent une profonde crise d’identité culturelle. Qui est Américain ? Que veut dire être un Américain modèle ?

Est-ce un pays de chrétiens conservateurs, blancs, hétérosexuels en mode patriarcal ? Ou est-ce un pays accueillant à part entière pour les femmes, les minorités raciales, ethniques, et religieuses, les immigrants, les personnes aux orientations sexuelles différentes, et les dissidents de toutes sortes ?

Les républicains font leurs choux gras avec les culture wars. L’ambition de Biden était de changer le sujet de la conversation nationale avec un plan rassembleur de renouveau des infrastructures physiques (ports, routes, transport public) et des infrastructures sociales (accès élargis à l’assurance maladie et à l’éducation postsecondaire, garderies abordables, prestations familiales pour combattre la pauvreté infantile, congés parentaux, lutte aux changements climatiques).

Le premier volet (infrastructure physique) a été adopté par le Congrès en 2021. Mais ses bienfaits ne seront perceptibles à l’électorat que dans le futur. Le second volet a été largement rejeté grâce à l’obstruction systématique des législateurs républicains, précieusement assistés des sénateurs démocrates Joe Manchin et Kirsten Sinema. Son adoption aurait peut-être permis (je dis bien peut-être) de faire évoluer les thèmes de la discussion publique et de rebrasser les coalitions électorales.

Venons-en au pouvoir de fabulation des républicains.

Le gouverneur Ron DeSantis et ses partisans actifs dans les médias sociaux ont créé une panique morale à l’égard de l’enseignement à tous les niveaux.

Les écoles primaires feraient du recrutement pour l’homosexualité et pour les transgenres. Elles y enseigneraient aussi les doctrines marxistes de la critical race theory. À l’université, les professeurs libéraux humilieraient leurs étudiants blancs avec des comptes rendus de l’histoire du racisme. Quelqu’un du milieu comme moi comprend combien ces reproches sont fabriqués de toutes pièces. Malheureusement, beaucoup d’électeurs sont dupes.

Il faudrait encore parler de l’indifférence des électeurs indécis (swing voters) aux menaces bien réelles que font peser les trumpistes sur la démocratie. Indûment convaincus de la solidité des institutions, ces électeurs ne voient pas de danger à montrer leur mécontentement envers l’équipe Biden en élisant des election deniers, même à des postes responsables de l’administration des élections… Cela augure mal pour l’avenir.

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