Comme bien des gens, Dawn est préoccupée par le fait que les réseaux sociaux semblent contribuer à attiser la colère et à diviser la population. D’autres, comme Soubhi, n’ont pas le même sentiment ; ils considèrent qu’on devrait être libre de dire et de faire ce qu’on veut en ligne.

Fauzia, elle, voit les choses différemment : elle pense qu’il serait préférable d’obliger tout le monde à utiliser son nom véritable en ligne. Pour sa part, Junior aimerait savoir pourquoi il est possible de faire impunément dans le cyberespace des choses qui nous attireraient de sérieux ennuis partout ailleurs.

Toutes ces personnes ont un point en commun. Elles ont répondu à l’invitation qui leur a été adressée de faire entendre leurs préoccupations sur les réseaux sociaux.

Les Assemblées citoyennes canadiennes sur l’expression démocratique et deux commissions parallèles ont été mises sur pied en 2020. Ces véhicules discrets ont servi à propulser une réflexion inédite sur les moyens de réglementer efficacement au Canada les plateformes numériques et d’autres fournisseurs de services en ligne. Un rapport de synthèse des travaux⁠1 a été publié récemment, dans lequel les membres demandent au gouvernement fédéral d’agir immédiatement pour protéger la population canadienne dans ses activités en ligne.

Les assemblées ont été créées dans le but de définir un plan d’action que le gouvernement pourrait suivre.

Plutôt que de réunir un groupe de discussion chargé de cerner les grandes préoccupations du public, l’exercice visait à donner à 90 personnes, représentant toutes les régions du pays ainsi que les deux langues officielles, la possibilité de s’instruire sur les enjeux et d’en débattre.

On a invité les membres à réfléchir aux mesures à adopter pour s’attaquer au problème des « préjudices en ligne » et de la « désinformation », termes pouvant paraître vagues, mais qui couvrent des sujets qui préoccupent une vaste majorité de la population : les prédateurs d’enfants ; les fraudeurs ; les campagnes menées de l’étranger pour propager la désinformation et diviser la population ; et les harceleurs en série – en particulier ceux qui visent les femmes, les personnes racisées et les personnes LGBTQ2I.

La première assemblée, qui a coïncidé avec le début de la pandémie, a comporté pas moins de 32 rencontres virtuelles. La deuxième, qui s’est déroulée tout juste avant l’arrivée du variant Omicron, a combiné des réunions virtuelles et quatre jours de rencontres en personne à Ottawa. Une dernière assemblée s’est tenue en juin dernier dans le but de préparer une synthèse des travaux menés par les assemblées précédentes, les commissions et un groupe d’experts du gouvernement fédéral.

Les membres des assemblées ont entendu des universitaires, des représentants de l’industrie et des responsables politiques. Le plus important, peut-être, c’est qu’ils se sont écoutés les uns les autres. Une démarche pas toujours facile dans une chambre d’écho virtuelle, mais qui est demeurée malgré tout un aspect central de chaque rencontre.

Alors, que veulent les Canadiens et les Canadiennes ?

Dans leur rapport final, les membres demandent au gouvernement de resserrer les lois en place et de sévir durement contre les auteurs des préjudices les plus odieux, en particulier lorsqu’ils visent des enfants et des groupes vulnérables.

Ils demandent aussi qu’on limite massivement l’utilisation de robots (bots) et, minimalement, qu’on impose l’étiquetage obligatoire assorti de règles précises pour restreindre la capacité des systèmes automatisés d’échanger de l’information et d’interagir avec de vrais utilisateurs.

Autre point extrêmement important, les membres revendiquent de meilleurs outils afin de pouvoir contrôler ce qu’on voit ou ne voit pas en ligne et le droit des utilisateurs de posséder leurs propres données et de les déplacer facilement entre les plateformes – un changement qui aviverait immédiatement la concurrence entre fournisseurs de services. Et ils pensent que la création d’un système multiplateforme volontaire d’utilisateurs autorisés permettrait d’améliorer la responsabilisation des utilisateurs.

De plus, ils demandent que les plateformes permettent de valider les sources d’information et pensent que le gouvernement doit continuer à investir dans le journalisme de grande qualité.

Par ailleurs, les membres réclament un mécanisme de surveillance digne de ce nom. En cas de problème, ils voudraient pouvoir recourir à une tierce partie capable d’accueillir leur plainte et de résoudre le litige. Ils demandent également la mise sur pied d’un organisme de réglementation chargé d’élaborer des normes et de les appliquer.

Les membres des assemblées estiment qu’il appartient aux sociétés puissantes qui fournissent les services de faire la preuve que ces derniers sont sécuritaires, comme c’est le cas d’ailleurs pour bon nombre de produits de consommation, tels que les aliments emballés, les voitures et les cosmétiques.

Bref, la population canadienne exige davantage de surveillance, de transparence et de responsabilisation.

Ce que les assemblées ont démontré, c’est que des personnes comme Dawn, Soubhi, Fauzia et Junior peuvent avoir des points de vue différents, mais que ceux-ci ne sont pas irréconciliables. Comme société, nous ne sommes peut-être pas aussi polarisés que ce que nous laissent croire les réseaux sociaux. Les membres du public sont capables de parvenir à un terrain d’entente, à condition de leur en donner l’occasion, ainsi que le temps et l’information nécessaires.

Leurs conclusions offrent au gouvernement une direction qui mérite d’être suivie.

1. Lisez le rapport de synthèse de la Commission canadienne sur l’expression démocratique Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion