Depuis le début de la guerre en Ukraine en février dernier, le coût des denrées alimentaires s’est envolé, amplifié par la flambée du prix des engrais. Pourtant, les entreprises qui les produisent sont en plein essor.

En plus d’être intenable sur le plan géopolitique, cette situation perpétue un modèle agricole injuste et non viable, sensible aux perturbations dues aux pandémies, aux conflits mondiaux et aux changements climatiques. La solution consiste à passer à une agriculture agroécologique et biologique à faibles émissions, plus résiliente et capable de répondre aux besoins alimentaires partout sur la planète.

Chaque année, de 8 à 10 % de la consommation de gaz naturel au Canada sert à produire des engrais azotés synthétiques. Lorsqu’ils sont appliqués sur le sol, ces fertilisants de synthèse, qui sont en fait des « engrais fossiles », libèrent de l’oxyde nitreux, un gaz à effet de serre 250 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. Ainsi, environ un tiers de toutes les émissions agricoles au Canada proviennent de la production et de l’utilisation d’engrais⁠1.

Selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) fournies au sous-ministre de l’Agriculture et obtenues par Greenpeace, le Canada a les émissions de gaz à effet de serre (GES) les plus élevées par kilogramme de céréales parmi les 10 premiers producteurs mondiaux. Nos émissions de fertilisants par habitant sont également parmi les plus élevées au monde.

Environ 5,5 millions de tonnes⁠2 de ces engrais sont produits ici chaque année par de nombreuses sociétés transnationales qui dominent les marchés mondiaux. Il n’est pas surprenant que leur influent lobby se soit battu bec et ongles contre les plans fédéraux visant à réduire les émissions de leurs produits.

En conséquence, l’agriculture est le seul grand secteur au Canada dont les émissions de GES continuent de croître. Malgré cela, briser notre dépendance aux engrais chimiques à hautes émissions ne semble pas être à l’ordre du jour du gouvernement fédéral canadien, qui vante « l’efficacité » de ces engrais et ne vise qu’une réduction de 3 % des émissions de l’agriculture d’ici 2030.

Or, comme pour les combustibles fossiles, il est bon d’être plus efficace dans l’utilisation des engrais chimiques, mais seulement dans le cadre d’une transition vers leur abandon. Il est en fait possible de réduire les émissions d’engrais de deux manières.

Premièrement, l’agriculture industrielle doit disparaître. Près de 30 % des cultures produites au Canada servent essentiellement à nourrir le bétail et 85 % des émissions liées à la production de ces aliments proviennent des engrais. Les gouvernements devraient accorder de généreuses subventions pour aider les agriculteurs.trices à faire la transition vers la production de protéines végétales, comme les lentilles et les pois chiches qui augmentent naturellement l’azote dans le sol.

Deuxièmement, des efforts doivent être mis en place pour instaurer de véritables souverainetés alimentaires. Il faut pour cela un soutien permettant un passage vers des méthodes biologiques ou, mieux encore, agroécologiques, dont beaucoup imitent les systèmes naturels d’accès aux nutriments et ont été développés grâce aux connaissances autochtones. Une étude a démontré que les pratiques biologiques peuvent réduire le besoin d’engrais artificiels tout en maintenant des rendements élevés, ouvrant ainsi la porte vers une transition en profondeur de notre agriculture. Ces résultats s’appuient sur un ensemble de preuves substantielles, dont le plus récent rapport du GIEC.

Revoir les modèles d’agriculture est une nécessité face aux enjeux climatiques et environnementaux actuels et pour cela il faut encourager la ferme diversifiée à échelle humaine en mettant en place des incitatifs visant à valoriser les productions multiples sur une même ferme et sur un même territoire (agroécologie).

De son côté, le gouvernement fédéral devrait appuyer la production de semences indigènes et subventionner la formation en agriculture agroécologique et biologique. Il devrait aussi impliquer les Premières Nations dans le développement de politiques agroalimentaires et accueillir leurs connaissances pour que s’érigent de meilleurs systèmes alimentaires.

Du côté provincial, il faudrait abolir les programmes incitant les agriculteurs.trices à orienter leur production vers un modèle fortement dépendant des pesticides et des intrants de synthèse, comme l’ASRA (Assurance stabilisation des revenus agricoles) qui indemnise les agriculteurs.trices pour certaines cultures dépendantes de ces intrants, créant un incitatif à en utiliser davantage. Aussi, un revenu minimum garanti en agriculture devrait être mis en place afin de permettre plus d’autonomie au niveau de leurs choix et de réduire leur dépendance aux exportations.

Alors que le lobby des engrais avance des arguments égocentriques pour expliquer pourquoi un changement systémique n’est pas possible, la réalité est que des réductions importantes sont à portée de main, si nous nous attaquons aux problèmes flagrants comme les fermes industrielles et si nous harmonisons nos pratiques aux principes de l’agroécologie. La solidarité et le soutien aux agriculteurs.trices sont le moyen d’y parvenir.

1. Consultez la page « Gaz à effet de serre et agriculture » du gouvernement du Canada 2. Consultez les recommandations de Greenpeace (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion