Il faut qu’on se parle du « temps supplémentaire obligatoire » (ben oui, encore le mozus de TSO). Malgré les efforts soutenus d’infirmières et de nombreux groupes et associations dans les dernières décennies, un trop grand nombre d’institutions voient encore le TSO comme une béquille, au lieu de le voir pour ce qu’il est vraiment, un cancer. Chaque semaine des infirmières se mobilisent contre ce poison⁠1, mais on refuse encore et toujours de nous écouter.

Les infirmières demandent qu’on mette fin au TSO depuis plus de 20 ans. Les infirmières se tiennent, se battent sans relâche pour pouvoir soigner dans des conditions minimalement acceptables. Les sit-ins se succèdent, puis les infirmières, créatives et solidaires, développent d’autres moyens de pression alors que les menaces et sanctions, elles aussi, évoluent. On nous répète souvent que « les femmes, ça ne se tient pas », mais j’ai rarement vu une bataille aussi soutenue sur une aussi longue période que celle des infirmières contre le TSO.

Mais la lutte s’essouffle. Pourquoi ? Parce que les infirmières partent. Je vais vous exposer une vérité aujourd’hui que tout le monde connaît, mais qui est rarement nommée : chaque TSO est un pas vers la sortie.

Le Québec a plus d’infirmières aujourd’hui que n’importe quand dans son histoire. Le gouvernement Legault, comme presque tous les gouvernements des 20 dernières années, refuse de croire que le problème est autre chose qu’une « pénurie ». On souhaite simplement injecter plus de corps dans le réseau. La campagne de recrutement d’infirmières à l’étranger n’est pas une solution originale ou nouvelle. C’est pas mal standard dans le cycle politique⁠2. Alors on se répète, parce que politicien après politicien refuse de s’attarder aux vrais problèmes : la pénurie de dignité et d’humanisme dans la gestion du réseau. Comme dans toutes les campagnes de recrutement dans le passé, nos collègues infirmières venues d’autres pays vont elles aussi se tanner.

Sans base légale

Parce que voyez-vous, il y a une quantité limite de TSO qu’une infirmière ou un infirmier peut endurer. Chaque fois qu’on impose un TSO, on pousse une infirmière vers la sortie. Au mieux, elle part en démissionnant, au pire, elle part à cause de la maladie. Le TSO nous rend malades. On n’aura jamais besoin d’imposer du TSO s’il y a une catastrophe naturelle, un gros accident ou quelconque évènement de force majeure. Dans ces cas-là, les infirmières et infirmiers ont amplement démontré leur solidarité et leur engagement. Mais pour des raisons politiques, pour des raisons d’indifférence, de gestion déficiente, là ça devient plus compliqué de convaincre une infirmière de délaisser sa famille, d’arrêter de subvenir à ses besoins de base comme manger et dormir. Ça prend de la violence.

On a inventé toute une mythologie autour du TSO. On prétend que c’est une obligation « déontologique » ou encore que ça a une base légale quelconque.

Mais le TSO était une mesure administrative, sans base légale ou déontologique, qui a vu le jour après le virage ambulatoire de Lucien Bouchard. On a dit que c’était « temporaire » pour permettre au réseau de souffler le temps qu’on s’adapte à cette réforme monstrueuse. C’était la première « dose » de cette drogue mortelle pour le réseau, et la dépendance s’est rapidement installée.

On prétend encore aujourd’hui qu’on a « besoin » du TSO plutôt que de reconnaître que le TSO est une des causes principales de la soi-disant « pénurie » du réseau. C’est le langage de la dépendance, ça. Le réseau a besoin de TSO de la même façon qu’un alcoolique a besoin d’un autre verre. Le besoin est créé par une dépendance qui a des conséquences dévastatrices.

Le chemin de l’hémorragie infirmière est pavé de TSO.

1. Consultez la page Facebook du Sit-in des infirmières de l’hôpital du Suroît 2. Lisez « Québec accentue son recrutement à l’étranger », dans La Tribune du 19 novembre 2003 Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion