Quand on cherche à comprendre comment un scandale de cette envergure a pu arriver à Hockey Canada, une question reste sans réponse. En fait, on ne la pose pas. Pourtant, elle s’impose : quelle est la part de responsabilité des conseillers juridiques de Hockey Canada dans cette affaire ?

Au cours des deux dernières décennies, alors que Hockey Canada dissimulait des allégations de viols collectifs et compensait à même des fonds secrets les victimes d’agressions sexuelles commises par ses joueurs pour mettre fin à des poursuites criminelles, où étaient ses avocats et avocates ? Les administrateurs et le PDG de Hockey Canada se sont enfin rendus à l’évidence et ont remis leur démission. Des joueurs et des joueuses, des fédérations provinciales, dont Hockey Québec, la ministre de Patrimoine canadien et même le premier ministre Justin Trudeau ont condamné Hockey Canada. La plupart des commanditaires se sont retirés, mais paertout au Canada, les barreaux ont brillé par leur silence.

Les avocats et avocates toujours présents dans les coulisses

Pourtant, les avocats et avocates sont très présents tout au long dans cette histoire. Hockey Canada a ses propres conseillers juridiques. En 2018, la fédération nationale a fait appel au cabinet criminaliste torontois Henein Hutcheson, connu surtout pour sa défense agressive d’hommes accusés d’agression sexuelle, dont celle de l’animateur de radio Jian Ghomeshi. Plus récemment, Hockey Canada a engagé un cabinet de gestion de crise, Navigator, équipé lui aussi d’avocats. Des avocats et avocates ont siégé au conseil d’administration de Hockey Canada. Andrea Skinner, membre du conseil depuis 2020 et la plus récente présidente du conseil, est avocate.

Il est difficile de croire que les dirigeants de Hockey Canada n’aient pas consulté des conseillers juridiques avant d’agir, car ses conseillers ont nécessairement joué un rôle dans la négociation et la rédaction des ententes de non-divulgation signées avec les plaignantes.

Or, les recommandations et les actions de ces conseillers juridiques ont eu des conséquences graves : elles ont servi à encourager, voire à soutenir des actes criminels en permettant à des joueurs sans scrupules de continuer à commettre avec impunité des actes de violence sexuelle. Considérés sous cet angle, les actes des conseillers juridiques de Hockey Canada sont eux aussi susceptibles d’être jugés de nature criminelle.

Les barreaux ferment les yeux

Il n’est pas rare que des avocats participent activement à des actes de légalité et de moralité douteuses. Selon les enquêtes de la presse, les avocats d’entreprises pharmaceutiques, du domaine du tabac et de l’amiante ont diffusé de fausses informations sur les effets nocifs des produits de leurs clients, ont délibérément dissimulé au cours de procès civils ou criminels des preuves incriminantes contre leurs clients et ont même cherché à intimider et à dénigrer les lanceurs d’alerte et les victimes. Cependant, les avocats et avocates ne sont presque jamais obligés de répondre de leurs actions.

Dans les divers barreaux du Canada, on ferme les yeux sur une contradiction pourtant flagrante : comment leurs membres peuvent-ils respecter leur code de déontologie s’ils aident leurs clients à enfreindre la loi et à être complices d’actes criminels ?

Car tous les barreaux au Canada ont des règles de conduite professionnelle. Leurs membres sont tenus de faire preuve d’intégrité afin que le public garde confiance dans le système de justice. Malheureusement, le laxisme des barreaux est légendaire. Pour ne citer qu’un exemple, selon le rapport annuel du Barreau de l’Ontario, en 2021, des 4238 plaintes renvoyées à la réglementation professionnelle, seules 168, soit moins de 4 %, ont débouché sur des avis de discipline. Ce taux serait encore plus bas s’il tenait compte des plaintes rejetées d’office qui ne parviennent même pas à la Réglementation professionnelle.

Ce faible taux d’action disciplinaire n’encourage pas le public à porter plainte. Pour assurer la confiance du public, les barreaux doivent faire plus que d’appuyer les bons principes du bout des lèvres. Tant qu’ils considèrent que le principal devoir d’un avocat ou d’une avocate est envers ses clients, même au prix de violer la loi, les barreaux, en pratique, encouragent leurs membres à franchir la ligne.

Pour un protocole de signalement

Il existe déjà dans divers domaines des obligations de signalement. En Ontario et au Québec, la loi oblige les membres d’ordres professionnels à signaler tout soupçon de maltraitance des enfants. Les barreaux de tout le Canada pourraient donc mettre en place un protocole que les avocats seraient tenus de respecter lorsqu’ils font face à des allégations d’agression sexuelle dans le contexte des services qu’ils fournissent à leurs clients. Un effort concerté et soutenu des barreaux dans ce sens pourrait faire beaucoup pour enrayer la culture d’impunité qui prévaut dans trop de nos organisations et institutions par rapport à la violence sexuelle.

D’ailleurs, on pourrait bien se demander pourquoi nos barreaux n’ont pas déjà élaboré un tel protocole, tant les exemples d’organisations comme Gymnastique Canada, Scouts Canada et l’Église catholique dissimulant les crimes sexuels sont nombreux, et ce, parfois depuis des décennies.

Les allégations portant sur des actes de violence ayant eu lieu en Ontario et le siège social de Hockey Canada étant à Calgary, les barreaux de l’Ontario et de l’Alberta pourraient montrer leurs bonnes intentions en lançant une enquête sur le rôle de leurs membres dans les opérations de dissimulation. Les clients se fient à leurs conseillers juridiques. Sachant qu’ils peuvent être radiés s’ils aident leurs clients à dissimuler des allégations d’agression sexuelle (ou d’autres crimes), les avocats seraient bien plus motivés à jouer enfin le rôle qui leur incombe pour mettre fin à des cultures institutionnelles et organisationnelles qui protègent les auteurs de violence sexuelle.

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