Je ne sais pas si c’est le scintillement bleu caquiste tapissé mur à mur au Québec qui nous aveugle, mais il me semble qu’on a un peu vite tourné la page sur la déclaration très sentie de François Legault à la veille du dévoilement de son cabinet.

Le PM, très en forme, y avait pourtant mis beaucoup de foi et de force. Voici ses paroles : « Je ne tolère pas qu’il y ait de la chicane dans la famille. En privé, en caucus, on peut tout se dire, mais quand on sort du caucus, on est un bloc uni, impossible à traverser. » Le message semble limpide. La dissidence apparente ne sera pas tolérée en public chez les caquistes. L’affaire est entendue, passons à un autre sujet.

Pourtant, il y a beaucoup à lire dans cette déclaration du cheuf.

La CAQ, 90 députés, est une COALITION. Oui, il y aura des voix dissidentes, mais n’est-ce pas la nature même d’une coalition, et pas qu’en privé ? Pourquoi tenir à tout prix à présenter une image de caucus sans faille ? Vous êtes majoritaire, les oppositions sont cassées ; il pourrait être sain qu’une opposition, à tout le moins, vienne de l’intérieur, qu’elle fasse bouger les lignes, avancer les idées, même celles qui bousculeraient l’establishment caquiste. Sinon quoi ? La direction de François Legault est-elle si chatouilleuse quant aux apparences ? Cette phrase devrait nous questionner sur la nature du pouvoir de quelques-uns à la CAQ. De l’autoritarisme sous un sourire bienveillant.

On a envie de dire au PM : soyez tolérant, magnanime. Voyez la richesse de la discussion, sachez mettre à profit l’opposition dans vos rangs. Elle est un moteur, pas une tare.

Ce sont les dérangeants et leurs idées audacieuses qui feront votre force sur la durée. Dans une coalition, il se peut que quelques-uns dépassent, rebiquent, se distinguent. Ce sont eux qui pourraient challenger le pouvoir, presque autant qu’une opposition fragile à l’Assemblée nationale.

Il y a aussi, dans la phrase du PM, cette fameuse crainte de la chicane. Un argument historique, en quelque sorte. Le fameux CONSENSUS QUÉBÉCOIS. Nous détestons la chicane, pour les mêmes raisons que nous fuyons le débat. « Pas de chicane dans ma cabane. » Or, ces dernières années nous indiquent que le fameux consensus est bien moins consensuel qu’il n’y paraît, qu’il craque de toutes parts, sur les questions de langue, d’identité, de Montréal vs les régions, de classes sociales, pour ne citer que ceux-là.

Alors, quelle est cette fameuse chicane ? Est-ce un mot trivial et imagé pour disqualifier les argumentations éclairées, les doutes, les bonnes questions ?

Et si ladite chicane était l’expression de voix diversifiées, de points de vue contrastés, de la démocratie, en somme ?

Sans choc des idées – la chicane ! – ça étouffe, la rage gronde, le climat pourrit. La chicane pourrait même être vue comme la saine expression d’une démocratie vigoureuse, dans une société… ou un parti.

Si le PM ne tolère pas la dissidence dans ses troupes, chez lui, à la maison, obsédé par une vision de propreté démocratique, comment réagira-t-il à ce qui ne manquera pas de se produire ces prochaines années ? Comment tolérera-t-il les appels à la manifestation d’un Duhaime, exclu des débats, ou les actions hors des sentiers battus d’un Paul St-Pierre Plamondon, par exemple ? Jusqu’où va-t-il minimiser leur portée et leur charge symbolique ?

Le consensus, expression sociale du pas de chicane, a peut-être historiquement déjà servi le Québec. Il a été une protection, un outil de survie. Cette unité de corps a longtemps été une manière de faire front commun contre un monde extérieur menaçant, le risque d’assimilation, une manière d’apparaître distincts dans notre foi et notre langue. Aujourd’hui, il craque de partout. Peut-être parce que le Québec est plus confiant, plus ouvert, qu’il participe à la marche des idées, avec tous les heurts et les frictions que cela suppose. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle en soi.

Qu’on me comprenne bien. Personne n’aime la chicane pour la chicane. Mais on abuse en qualifiant de CHICANE toute velléité de changement des règles.

Un consensus ne se maintient ni par la force ni par magie. Et ce, ni dans un parti ni dans une société. Tu peux répéter 100 fois le mantra « consensus québécois » ; si la réalité dément ton incantation, tu te magasines des problèmes. En se faisant le gardien autoproclamé du consensus à la CAQ et au Québec, le PM qui n’aimait pas la chicane flirte avec… le trouble.

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