Il a été question de la concurrence entre le droit de propriété et la protection de l’environnement dans une lettre d’opinion que je signais récemment*. Ce sujet est d’actualité puisqu’il sera abordé lors la deuxième partie de la 15Conférence des parties (COP) de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies qui se tiendra à Montréal en décembre.

Ma lettre abordait la question du temps. Le temps qui nous mène vers la solution à la crise climatique, ou l’enlisement, et qui pose la question : qu’est-ce qu’une pollution durable ? Étrange oxymore qui considère le nuisible dans le temps et l’espace. Car si le développement doit être durable, ainsi en est-il de la pollution qui l’accompagne. Mais pourquoi, tout à coup, parler d’environnement ?

Parce que comme le disait Tennessee Williams dans Soudain l’été dernier : « Nous vivons tous dans une maison en feu, et personne pour éteindre celui-ci… ». À preuve, cette rivière qui prit feu en 1969. Je vous raconte.

Les habitants de Cleveland ont longtemps considéré la pollution extrême de la rivière Cuyahoga comme l’éclatante démonstration du succès de leur industrie lourde. Cette posture étonne, mais rappelons qu’au tournant des années 1920, la Cour suprême des États-Unis déclarait sans réserve que les rivières constituaient un dépotoir naturel pour les rejets toxiques liquides. Le grand filtre de la nature est au service de l’homme. Or, le 22 juin 1969, la rivière a pris feu. J’exagère. C’était un tout petit feu, très localisé. D’ailleurs, l’eau n’a brûlé qu’à peine 30 minutes. Rien pour s’émouvoir… Et ce n’était pas le premier feu. C’était probablement le cinquième ou le sixième depuis la guerre de Sécession.

Le Time en avait fait sa manchette. Mais il trichait un peu. La nouvelle était sensationnelle, mais pas tant. Il a utilisé les photos de l’incendie de 1952, beaucoup plus important, afin de marquer les esprits.

C’était loin d’être la première rivière qui brûlait, mais ce fut la dernière. Le Congrès américain a adopté le Clean Water Act en 1972. À partir de cette même année, signe des temps peut-être, les sommets internationaux ont abordé de plus en plus en profondeur la question de l’environnement. Mais ce virage écologique n’était pas que le fruit du caractère inusité d’une rivière qui flambe ou d’un regain mystique. Le boom d’après-guerre s’était épuisé, l’industrie perdait son hégémonie, les problèmes économiques (chômage et dette étatique) étaient dirimants et la population inquiète. Dans les faits, les problèmes environnementaux urgents étaient légion. La pollution hydrique était dramatique pour les populations rurales, sans compter que ce sont ces régions qui nourrissaient les populations urbaines.

Chose heureuse, l’environnement est un sujet qui a l’avantage de présenter des solutions faciles pour la classe politique. Le contexte, comme toujours, se nourrit des occasions qui se présentent.

Il faut limiter la sacro-sainte liberté de l’industrie de polluer, ce qui n’émeut personne.

Les initiatives se sont succédé à l’Ouest, mais aussi à l’Est, notamment sous Khrouchtchev. La protection de la nature apparaît même dans la constitution de 1977 des Républiques socialistes. Le Canada est devenu, en 1971, le second pays au monde à se doter d’un ministère de l’Environnement. Une petite révolution s’est enclenchée. Outre qu’il est devenu incontournable dans un contexte économique rationnel de composer avec la finitude des ressources, il l’est devenu tout autant de considérer la capacité des sols à nourrir leur population. Les individus d’un pays ne peuvent éternellement boire l’eau qu’ils polluent. Il en va de même des habitants des pays voisins dont les frontières sont inefficaces devant les dangers environnementaux. C’est ce que les spécialistes des sommets internationaux appellent la transcendance des solidarités. En un mot, sans mauvais jeu de mots, si tu te mouilles, je me mouille.

Un tel exemple de cette transcendance a pris forme lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992. Il a été, et de loin, le plus grand sommet de tous les sommets. Il a pris la couleur d’une révolution planétaire, bien que depuis ce sommet on n’ait jamais autant détruit la planète… Néanmoins, c’est dans la foulée de ce sommet que des dizaines de pays ont modifié leur Constitution au cours des années 1990 afin de faire du développement durable une orientation centrale. Le droit a pris désormais la couleur qu’on entendait donner au capitalisme privé.

La réalité, depuis, n’a guère suivi les intentions. Sans faire de la patience une excuse susceptible d’expliquer le fiasco actuel, rappelons que le GIEC n’a que 40 ans ce qui, comparé aux 300 ans de l’économie de marché, relève de l’amorce plutôt que de l’impulsion.

Rappelons aussi qu’au Sommet de la Terre de Rio, le rôle exact de l’activité humaine dans le changement climatique n’était pas prouvé.

Maintenant que cette preuve a été faite, il est grand temps que le droit (le jus et le lex, j’entends) impose une nouvelle couleur au capitalisme privé. S’il y a un prix à payer à repenser le droit de propriété, peut-être est-il moins cher que celui lié à la réduction moyenne de deux ans de l’espérance de vie causée par la pollution atmosphérique, elle aussi démontrée par les scientifiques.

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