Quatre interventions chirurgicales en douze mois, dont trois en sept semaines. Une récidive. Une série d’infections. Une mastectomie totale d’un sein. Sans compter cette maudite COVID-19. De quoi chambouler ma vie et celle de mes proches.

En ce mois de sensibilisation au cancer du sein, voici une tranche de vie qui évoque une certaine forme de solitude que vivent les malades et ce, malgré l’aide et l’entourage bienveillant. Dans mon cas, la nature m’a aidée à reprendre le dessus. L’histoire est simple : cet été, j’étais épuisée. Pendant des jours et des jours, mon seul grand projet a été de… sortir dans mon jardin.

Se perdre. Perdre le fil. Le fil du temps. S’égarer un long moment.

Ne rien faire. Contempler. Dehors. Dedans. Rester bloquée au moment présent.

Ne pas penser. Juste ressentir. Observer. Pendant des heures, des jours, des mois, une éternité. Je ne sais plus vraiment. Un certain temps. Assurément.

Être aux premières loges pour observer la valse des saisons. Voir apparaître un pissenlit, deux pissenlits… un tapis jaune en pleine expansion. S’émerveiller de la floraison des trèfles. Les mauves, puis les blancs, venant parsemer le lit du champ.

Observer la sortie de terre des asperges, voir rosir les framboises puis rougir les tomates. Se perdre dans les nuances des couleurs. Voir l’herbe passer du vert tendre au vert forêt puis au vert kaki brûlé par les chaleurs. S’émerveiller de revoir de multiples taches dorées grâce à la verge d’or de la fin de l’été.

Ne pas bouger. Ne pas pouvoir bouger. Gérer la douleur. À l’extérieur. À l’intérieur. Être épuisée. À l’extérieur. À l’intérieur.

Observer les oiseaux. Des moineaux. Des colibris. Et même des hirondelles. Un jour, un merlebleu de l’Est et sa douce moitié. Les voir nicher juste là, devant moi. Entendre soudainement des piaillements. Se laisser bercer par les allers-retours incessants des parents qui offrent la becquée aux enfants. Puis un jour, assister en direct au grand départ des petits : l’envol des oisillons du nid. Quelle chance !

Marcher. Tenter de marcher. Se faire violence pour bouger. Quelques mètres dans un premier temps. Puis, quelques pas de plus chaque jour. Se mettre des objectifs pour aller toujours un peu plus loin. S’inventer des repères, se lancer des défis : atteindre un nouvel arbre à chaque nouvelle sortie. Trembler. De faiblesse ou de peur ? Qu’importe.

Dix pas de plus que la veille. Victoire. Verser une larme d’espoir.

Observer la gentille marmotte sortir de son terrier. La voir se figer, me dévisager, puis reprendre tranquillement son activité préférée : grignoter les fleurs, l’herbe, les graminées. M’habituer chaque jour à sa présence et elle, à la mienne. Enfin, je crois.

Être témoin des grandes manœuvres de l’araignée. La voir piéger ses proies en les roulant dans une boule de soie. Admirer son talent à tisser et retisser sa toile après chaque prise. Inlassablement.

Contempler la danse de nos amies les abeilles. Les entendre grouiller. Les observer butiner. Les voir repartir sur des hectares les pattes pleines de nectar. Fascinantes travailleuses disciplinées.

Oh ! Un chevreuil. Il est juste à côté de moi. Quelle chance !

Être en colère. Se demander : « pourquoi ? » Ne pas comprendre. Ressasser. Ruminer. Crier. À l’extérieur. À l’intérieur. Tenter de se ressaisir. Et se dire et se redire avec fermeté et l’œil mouillé : « Allez, je vais guérir ! »

Sentir le vent. Parfois léger. Parfois rude. Parfois chaud. Parfois froid. Parfois mouillé. Souvent parfait. Voir chaque matin le soleil entamer sa course. Observer la courbe de son voyage s’aplatir jour après jour. Observer les ombres qui s’allongent, la température qui décline, la lune qui se lève, les étoiles qui s’éveillent.

Oh ! Une étoile filante. Quelle chance !

S’appuyer. Sur lui. Sur eux. À l’extérieur. À l’intérieur. Remercier chaque jour d’être si bien entourée.

Observer mes fleurs. S’émerveiller de leur beauté, de leur force et de leur fragilité. S’inspirer de leur posture : racines bien enracinées, cœur tourné vers la lumière d’été. Couper quelques calendules, cosmos, zinnias et dahlias. Emporter un peu de soleil avec moi.

Entendre du bruit. Des cris d’enfants qui jouent. Se rappeler qu’il y a une école à côté. C’est déjà l’automne. Retour à la réalité, un peu revigorée.

Se perdre. Perdre le fil. Le fil du temps. S’égarer un long moment.

Ne rien faire. Contempler. Dehors. Dedans. Rester bloquée au moment présent.

Se nourrir de chaque instant. Remercier le temps de m’avoir offert son temps. Enfin, regarder devant.

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