Dans le contexte du centenaire de la naissance de René Lévesque, on rappelle avec raison les grandes réalisations du premier ministre en matière linguistique, culturelle, économique et d’autres. Mais il me semble qu’on doit aussi porter le projecteur sur un pan majeur, mais souvent négligé des réalisations du gouvernement du Parti québécois de 1976 à 1985 : l’aménagement du territoire et la décentralisation.

Dès la formation de son premier conseil des ministres, M. Lévesque nomma un ministre d’État responsable de l’Aménagement du territoire, Jacques Léonard, marquant ainsi l’importance du domaine (avec les développements économique, culturel et social). Ce qui est moins connu est qu’il constitua en début de mandat un comité ministériel sur la décentralisation, qu’il tint à présider lui-même. Les deux ministres Jacques Léonard et Guy Tardif, ministres des Affaires municipales, en faisaient partie, avec un responsable de la fonction publique (le sous-ministre Yvon Tremblay) et deux chefs de cabinet (dont le signataire de ces lignes).

D’entrée de jeu, René Lévesque nous dit qu’il voulait procéder à un réaménagement profond de la gérance du territoire québécois, surtout dans un contexte de souveraineté : « Nous ne ferons pas l’indépendance pour renforcer le gouvernement à Québec, mais pour en redonner aux régions », nous dit-il d’emblée.

Les premières cogitations portèrent sur le fait qu’il n’existait aucune structure régionale pour porter et assumer de nouveaux pouvoirs décentralisés. À part les trois communautés urbaines de Montréal, Québec et de l’Outaouais, on ne retrouvait aucune structure politique forte dans le territoire : des villes petites et moyennes et des villages, mais rien d’intégré et de structuré. Le premier constat du comité fut donc de statuer qu’il fallait d’abord créer de telles structures sur tout le territoire québécois, intégrant le rural et l’urbain, avec une force administrative. La décision fut alors prise de créer ce qu’on nomma des municipalités régionales de comté (MRC), qui remplaceraient les Conseils de comté (une structure centenaire plutôt désuète).

Une fois les MRC en place, on pourrait envisager des actions fortes de décentralisation.

Genèse des MRC

Jacques Léonard et son équipe consacrèrent des énergies majeures à rencontrer les conseils de comté et le monde municipal hors communautés urbaines, dans le but de les convaincre d’évoluer vers la nouvelle formule des MRC, avec une recomposition des territoires et avec des pouvoirs nouveaux. Ce qui fut fait en deux ans.

Devant l’enjeu — encore bien présent — de l’étalement urbain, le premier mandat des MRC fut de se doter de schémas d’aménagement de leur territoire (d’autant plus qu’en parallèle, sous la responsabilité du ministre Jean Garon, une loi sur la protection du territoire agricole tentait de corriger les dégâts de décennies de laisser-faire à cet égard.)

La tâche de mise en place de cette nouvelle structure fut tellement lourde, comme celle de la confection des schémas d’aménagement régionaux, que le gouvernement Lévesque n’eut pas le temps de procéder plus avant à la décentralisation souhaitée, dans toute son ampleur (dans un contexte où des dossiers comme le référendum de 1980 et le rapatriement de la constitution de 1982 accaparèrent l’attention du premier ministre). Sans entrer dans les détails, on peut signaler que, en 1992, le ministre des Affaires municipales du temps, Claude Ryan, procédera à une certaine décentralisation en matière de voirie locale et de police vers les MRC.

Comme le mentionnait récemment (16 août 2022) le secrétaire général du conseil exécutif de M. Lévesque, Louis Bernard, un prochain pas vers le renforcement des MRC serait de rendre obligatoire l’élection au suffrage universel des préfets de MRC, leur donnant ainsi un statut d’interlocuteurs incontournables auprès du gouvernement et une stature régionale. Présentement, on peut le faire, mais de façon optionnelle (13 préfets sont déjà élus au suffrage universel). Louis Bernard estimait dans son texte qu’une force politique accrue des MRC générera à terme des gouvernements régionaux (qui les chapeauteront). Cela était aussi la position de René Lévesque au comité de décentralisation.

Ce qui est certain est que le gouvernement du Québec, quel qu’il soit, devrait poursuivre cette voie de décentralisation et de renforcement politique des MRC, celle ouverte par René Lévesque.

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