Depuis le 16 septembre 2022 et la mort tragique de la jeune Mahsa Amini — arrêtée par la police des mœurs pour une mèche de cheveux, et morte après trois jours de coma —, le peuple iranien indigné et révolté se soulève à nouveau, exprimant son total désarroi face à un système idéologique et à un ordre établi qu’il considère comme illégitime.

Cette contestation populaire est loin de constituer une nouveauté et s’inscrit dans la lignée d’une vague de mouvements de protestation contre l’État et contre toute l’architecture constitutionnelle islamique. La particularité de cette contestation peut se comprendre par sa solide présence féminine, sa forte détermination, sa portée universelle et intergénérationnelle, son unité collective et sa résistance créative et organisée face aux pratiques autoritaires et totalitaires de la République islamique d’Iran.

Une société à deux vitesses

L’Iran est doté d’une population jeune et éduquée, femmes et hommes, qui aspirent aujourd’hui à un autre modèle de société que celui proposé par l’ordre islamique et qui s’érigent contre l’autorité politico-religieuse et sa vision anachronique du monde.

Depuis l’avènement de la République islamique en 1979, une partie de la population iranienne se sent prise en otage dans un tourbillon de valeurs, de normes et de codes de conduite dits islamiques et imposés comme le modèle unique à suivre. Aucune place n’est laissée aux débats, à la négociation ou à un compromis social et politique. L’État s’est ainsi donné les pleins pouvoirs et le monopole de la morale et de la force légitime, en imposant une pensée absolue, et ce, depuis 43 ans.

Après plus de quatre décennies, le peuple iranien est en mesure de dresser un bilan nuancé et objectif des actes et des inactions de l’État et fait le procès des conséquences irréversibles d’une idéologie politique et religieuse imposée.

Cette rupture et cette perte de confiance totale de la société vis-à-vis du pouvoir étatique s’expliquent par le fait que ce dernier n’est jamais parvenu à mettre en place un contrat social et à remplir son rôle d’un État responsable, protecteur et transparent, garant du bien-être et de la sécurité de l’ensemble de la population.

En revanche, la réponse systématique apportée, depuis le sommet du pouvoir jusqu’à la base sociétale, a été un déploiement aveugle et sans limite d’une répression directe, physique et violente, en misant sur l’institutionnalisation de la crainte et de la terreur comme mode de gouvernance, notamment au moyen du développement d’une série d’organes répressifs archaïques, dotés par contre de moyens et d’équipements modernes.

Aujourd’hui, deux visions du monde s’opposent diamétralement : une société iranienne contre une société islamique, une pensée libre et plurielle contre une pensée unique, une génération des Lumières contre la noirceur de l’obscurantisme religieux, le combat pour une vie libre contre la menace perpétuelle de la mort.

La grande quête de la liberté

La société et la jeunesse iraniennes sont avides de libertés : de la liberté d’expression à la liberté de réunion en passant par la liberté de pensée, de circuler, d’aimer, de chérir, de disposer de leur corps et d’exister en tant que femmes, en tant qu’être à part entière, donc égal.

Cette quête des libertés les plus fondamentales est à comprendre comme un besoin de l’intelligence. Albert Camus soulignait bien que cette prise de conscience passe par la révolte.

La jeunesse iranienne est parfaitement consciente de sa condition sociale, du bafouement de ses droits fondamentaux et ressent profondément une injustice omniprésente.

Elle ne veut plus être une génération sacrifiée et voir sa vie confisquée comme celle des générations précédentes. Dans ce sens, la liberté devient véritablement une question de possibilité de choix. Cette jeunesse représente bien les enfants d’une république, mais qui remet en question son attribut islamique et ne reconnaît plus sa souveraineté.

Entre silence et dénonciation

De nombreuses mobilisations de soutien au peuple iranien se tiennent régulièrement dans les grandes métropoles occidentales (Paris, Berlin, Montréal). Certains gouvernements, dont le Canada, ont condamné publiquement et ouvertement la répression brutale des autorités iraniennes. Le courage du peuple iranien touche l’opinion publique puisque cette dénonciation de l’oppression, du féminicide, de l’infanticide et des crimes d’un État islamique se fait aujourd’hui au prix de vies humaines.

Par contre, le silence des féministes et de certains intellectuels occidentaux a été fortement remarqué, critiqué et est considéré par le peuple iranien comme criminel.

Il est aujourd’hui légitime de remettre en question ce silence ou du moins la réserve de certaines personnes.

Force est de constater qu’un lien direct peut aujourd’hui s’établir entre ce silence, les intérêts économiques et aussi la peur d’être considéré comme islamophobe. Il n’est donc pas étonnant que, par crainte de réactions violentes de la part d’une partie de la population musulmane et croyante, la loi du silence soit de facto de mise.

Le vide laissé par une intelligentsia critique, présentée souvent comme les défenseurs de valeurs républicaines et démocratiques, reste troublant. On semble ne pas réaliser qu’une population, certes née dans un pays musulman et dans un système islamique, peut aussi ne pas vouloir s’identifier à l’islam et à ses préceptes, sans rejeter pour autant la liberté de culte dans le respect total de la croyance de chacun, tout en remettant en question un État bâti sur une idéologie politico-religieuse.

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