La Chaire en fiscalité et finances publiques (CFFP) a publié récemment une mise à jour de son enquête⁠1 sur la perception qu’ont les Québécois.es de la fiscalité. Certaines conclusions de l’étude ont été abondamment relayées dans les médias.

L’une des propositions que la Chaire, et plus particulièrement son directeur Luc Godbout, met de l’avant depuis de nombreuses années a reçu un écho favorable chez plusieurs journalistes : revoir le dosage fiscal du Québec afin d’avoir davantage recours aux taxes à la consommation et moins à l’impôt sur le revenu.

Avant d’y voir une solution consensuelle qui ne présenterait que des avantages, que la population souhaiterait ardemment et qui devrait être adoptée en quatrième vitesse, il est indispensable de faire quelques constats.

D’abord, il est regrettable que les auteurs de l’étude aient choisi de comparer deux outils fiscaux — les impôts et les taxes à la consommation – sans les évaluer à partir des mêmes questions.

Ainsi, on a demandé aux répondant.e.s d’une part s’ils considèrent qu’ils paient « trop d’impôt », et d’autre part s’ils sont favorables à une hausse de la TVQ advenant que « le gouvernement dédie cette hausse à un usage spécifique » (mieux financer les services publics, réduire les impôts, rembourser la dette, etc.).

Or, une telle formulation introduit un biais flagrant dans le questionnaire en faveur de la taxation. Avec de tels choix méthodologiques, on peut d’ailleurs se demander si, en posant la question inverse (considérez-vous que vous payez trop de TVQ et seriez-vous ouverts à payer davantage d’impôt si cela s’accompagnait de différents bienfaits ?), on n’aurait pas également obtenu des réponses inverses aux constats de la CFFP.

Les perceptions et la réalité

D’autres données de l’étude soulèvent des questions. Comment expliquer que plus du tiers des couples avec enfants gagnant moins de 40 000 $ jugent qu’ils paient trop d’impôt alors qu’ils n’en paient aucun (ou très peu) ? Qu’est-ce que ces répondants ont bien pu comprendre de la question qu’on leur a posée ? Cela montre à tout le moins une grande méconnaissance du fonctionnement de la fiscalité et indique que les perceptions ne reposent pas forcément sur des faits réels.

Ensuite, il y a la question de la progressivité. En commentant l’étude, plusieurs analystes ont expliqué qu’il ne fallait pas craindre l’effet régressif — c’est-à-dire lorsque les plus pauvres sont plus durement touchés que les plus riches — des taxes à la consommation puisqu’il suffirait d’expédier un chèque — par exemple en bonifiant le crédit de solidarité — pour compenser cet effet chez les personnes à bas revenus. Il reste que les partisans de la modification du dosage fiscal veulent réduire l’impôt et le remplacer par une augmentation des taxes à la consommation. Ce faisant, même s’ils rendent cette taxe parfaitement neutre à travers des transferts, l’outil qui favorise le plus la progressivité du régime fiscal, l’impôt, verra sa portée réduite.

En d’autres mots, on n’y échappe pas : la modification proposée du dosage fiscal aurait un effet négatif sur la progressivité du régime fiscal du Québec et contribuerait à augmenter les inégalités déjà indécentes.

D’autres idées ont été avancées par différents commentateurs pour vanter la mesure mise de l’avant par l’étude de la CFFP. On prétend que les riches paieront davantage de taxes, ce qui est vrai en montant absolu, mais faux lorsqu’on considère la proportion du revenu. De même, rien ne permet de conclure que la mesure se traduira par un incitatif à demeurer au travail plus longtemps : dans certains cas, contrairement à ce que disent les vieilles thèses de l’économie orthodoxe basées sur les mécanismes de marché théoriques (mais non démontrés), si une personne voit son revenu disponible augmenter à la suite d’une baisse d’impôt, elle pourrait tout aussi bien faire le choix de travailler moins, car elle atteindrait le revenu désiré plus rapidement. C’est ce qui s’est produit avec les médecins, par exemple, lorsqu’on a haussé leur rémunération.

En somme, la démonstration indiquant que la mesure serait favorable à la population n’a pas été faite. Et celle que la population y est favorable non plus…

Avant d’adopter ce qui prend ici la forme d’une fausse bonne idée, on devrait considérer avec plus d’attention deux faits difficilement contestables : depuis le début du virage néolibéral des années 1980, d’une part, la charge fiscale a eu tendance à baisser, et d’autre part, les inégalités ont crû dans le monde occidental. Les deux phénomènes sont liés. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse que la dégradation des services publics qui a accompagné les réformes néolibérales a miné la confiance du public envers les institutions et alimenté une variété de mouvances antisystèmes qui favorisent l’instabilité politique.

Par conséquent, avant d’adopter une énième réforme soucieuse de reproduire des mécanismes de marché pour réaliser des gains d’efficacité au mieux incertains, il importe de plutôt favoriser les politiques qui garantissent la redistribution des richesses nécessaires à la cohésion sociale, d’autant plus que bien des études montrent que la baisse des inégalités favorise la croissance.

Sur cet enjeu bien précis du dosage fiscal, la CFFP, et Luc Godbout — qui a présidé en 2015 la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise qui a recommandé le nouveau dosage en question — tant par les choix méthodologiques que par le recours à outrance à la métaphore peu scientifique de « fardeau fiscal », montre qu’ils font davantage campagne qu’ils ne cherchent à éclairer le débat.

1. Consultez la mise à jour de l’enquête de la CFFP Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion