Depuis un moment, je réfléchis beaucoup à ce que nous sommes comme êtres humains. À ce que nous valons comme espèce. J’entends les bombardements en Ukraine, le cri des femmes en Iran, je regarde les glaciers fondre. Demain, il fera trop chaud.

Je replonge aussi dans l’histoire. Elle n’est pas toujours belle. Pour conquérir les hommes et les territoires, pour dominer les espèces, pour être le maître du monde, nous nous sommes abaissés à de bien sombres choses. Parce que nous sommes les meilleurs.

Quand j’étais au cégep, dans mon premier cours de philo, le professeur a posé une question : qu’est-ce qui différencie les humains des animaux ? Plusieurs ont répondu l’intelligence. « Non », a répondu l’enseignant, en ajoutant : « les chimpanzés ont aussi une certaine forme d’intelligence ». D’autres élèves ont dit que c’était notre empathie, notre compassion. J’ai levé les yeux au ciel. L’enseignant a dit : « Pensez aux mamans qui protègent leurs petits. Et puis il y a cette étude sur les dauphins. L’empathie, ça existe chez plusieurs espèces. »

La bonne réponse, c’était la raison.

Il y a aussi cette histoire, attribuée, à tort ou à raison, à l’anthropologue Margaret Mead. Une étudiante lui aurait demandé quels sont selon elle les premiers signes de la civilisation. Mme Mead aurait alors répondu que c’était un fémur, un fémur cassé qu’on avait guéri. L’anthropologue aurait expliqué qu’à un moment donné dans l’histoire, un humain en a aidé un autre à guérir puisque sans son fémur pour marcher, cet homme était en proie aux prédateurs : « Aider une autre personne à traverser les épreuves, c’est là que se trouve la civilisation. »

Est-ce qu’on n’oublie pas trop souvent, comme hommes et comme femmes, d’être civilisés ? De se servir de notre raison ? N’est-il pas parfois plus accommodant de fermer les yeux ?

Espaces autochtones à Radio-Canada a révélé la semaine dernière que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a lancé une enquête après qu’un évènement troublant eut été porté à son attention. En effet, un enfant inuk qui séjournait dans un Centre de la jeunesse et de la famille Batshaw, à Montréal, aurait été placé en isolement plutôt que de se faire soigner, alors qu’il était en grande douleur.

L’histoire se serait déroulée en avril dernier. L’adolescent se serait plaint d’une douleur à un testicule. On lui aurait alors donné du Tylenol dans un premier temps. Comme la douleur s’accentuait, le jeune homme aurait frappé dans la porte de sa chambre pendant la nuit pour obtenir de l’aide. Au lieu de lui procurer les soins nécessaires, on l’aurait menotté et transporté au sous-sol, en isolement, puisque frapper dans les portes pour se faire aider n’est vraisemblablement pas permis, aux yeux de certains préposés de ce centre.

Au matin finalement, après que l’adolescent eut vomi de douleur à plusieurs reprises, il fut enfin transporté vers l’hôpital. Il y perdra son testicule.

C’est un appel anonyme d’un employé du Centre Batshaw qui aurait mené à l’enquête.

Toute cette situation ne vous en rappelle pas une autre ? Moi oui. Un évènement qui se déroulait le 28 septembre 2020 à l’hôpital de Joliette où une femme du nom de Joyce Echaquan hurlait pour qu’on l’écoute et qu’on l’aide.

Je ne dis pas que le garçon a reçu le même traitement que Joyce Echaquan. Je ne dis pas non plus que le contexte était totalement le même, l’enquête le démontrera.

Je dis cependant que c’est un cas qui comporte des points communs, encore une fois impliquant un Autochtone et un service public du Québec. Les mêmes cris de douleur et de désespoir, le même sentiment d’être invisible.

M. Legault, celui qui disait vouloir être le premier ministre de tous les Québécois, a encore du pain sur la planche. La situation ici, bien qu’elle se déroule dans un autre lieu et que la victime porte un autre nom, se veut la même. Cela m’afflige de le dire, mais il faut être bien déconnecté pour croire que tout est réglé.

Le Nunavik est aux prises avec d’importantes carences en services de tous ordres. On manque d’enseignants, de familles d’accueil, de procureurs, de personnel en santé notamment. Résultat ? On transfère les Inuits et leur dossier au Sud, à Montréal le plus souvent. Parfois, ils se retrouvent dans la rue, parfois ils se font frapper et en meurent, souvent on ne les écoute pas. À travers tout ça, il y a aussi, bien sûr, de belles histoires.

Mais pourquoi changer les modes de vie si c’est pour nous laisser tomber en bout de piste ? Je me demande souvent où se trouvent notre raison et notre sens de la civilité, au minimum.

Quand l’humanité me manque trop, je pense à ceux qui ne ferment pas les yeux. Et ils sont de plus en plus nombreux.

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