Comment c’était de travailler pour André Chagnon ? La question m’a été posée à plusieurs occasions dans le passé et encore après l’annonce de sa mort samedi dernier. La réponse est toujours la même. On ne travaille pas pour André Chagnon, on travaille avec lui. Son leadership naturel, souriant, humble, authentique, invitait constamment au dépassement et à l’innovation, toujours orienté vers sa vision de l’avenir.

J’ai eu cet immense privilège de le côtoyer pendant des années, et de grandir professionnellement et personnellement à ses côtés. Plusieurs relèveront, avec raison, ses qualités exceptionnelles d’entrepreneur, son humanisme et son engagement social exemplaires. C’est normal, André Chagnon a fondé une des plus grandes et admirables entreprises technologiques, puis une œuvre philanthropique parmi les mieux dotées au pays, sans jamais perdre de vue ses origines modestes et son ancrage dans les valeurs familiales. C’est de la table de cuisine, son inséparable Lucie à ses côtés, qu’il a amorcé son remarquable parcours entrepreneurial.

Tout au long de sa vie, André Chagnon s’est révélé être un grand visionnaire, un chef de file incontestable et un précurseur dans un domaine qu’il a grandement contribué à ouvrir à la révolution technologique.

J’entends souvent des voix pour qui ses plus grandes innovations étaient naïves et trop en avant de leur temps. Par exemple, la télévision interactive, le terminal Vidéoway, la télémétrie et UBI. Peut-être que ces « aventures » technologiques étaient trop hâtives, mais j’aime mieux croire qu’elles se sont brisées sur les murs de la règlementation rétrograde et des contraintes excessives imposées à leur commercialisation. Les concurrents de Vidéotron et de TVA au début des années 1990 multipliaient leurs interventions auprès du CRTC pour dénoncer les « avantages indus » que procureraient à son promoteur les expériences de télévision interactive et de multiplexage découlant de Vidéoway. À la même époque, le gouvernement du Québec déroulait le tapis rouge à Ubisoft, avec de généreuses mesures incitatives fiscales, pour qu’elle lance Montréal dans le développement encore précoce d’une industrie du jeu vidéo et du multimédia. L’économie de locataires avait déjà la couenne dure à cette époque.

Heureusement, les idées d’André Chagnon suscitaient davantage d’intérêt et d’admiration en Europe, particulièrement en Angleterre, en France et au Maroc, où il a fortement inspiré le développement de la télédistribution, de la télévision privée et des émissions interactives. Il fut notamment invité comme partenaire financier et stratégique de la 5e chaîne lorsque le gouvernement français mis en branle le processus de privatisation des grandes chaînes de télé en 1987.

J’évoque ces histoires des entreprises d’André Chagnon parce que j’ai eu le bonheur d’y participer directement et de vivre à fond la dynamique d’inspiration, d’innovation et de responsabilisation que ce grand homme reflétait naturellement. C’est peut-être en se remémorant ses débuts avec Lucie à la table de cuisine qu’il employait une jolie métaphore, aussi tirée du langage culinaire, pour exprimer sa pleine confiance envers ses collaborateurs : « Lorsque j’embauche un chef pour diriger la cuisine, ce n’est pas pour lui dire quel menu et quelles recettes réaliser afin de plaire aux clients. S’il advenait que ceux-ci tournent le dos à la cuisine, je saurai alors que le temps est venu de changer de chef. »

C’est pourquoi je crois qu’André Chagnon a toujours su incarner auprès de son entourage professionnel et personnel des valeurs profondes de confiance, de respect, de simplicité, d’humanité, d’engagement et de dépassement.

Le sens marqué d’André Chagnon pour la famille l’aura accompagné jusqu’à son dernier souffle. Il est parti rejoindre Lucie dans les jours qui auraient marqué le 94anniversaire de sa grande complice de toujours. Il retrouvera dans l’au-delà son fils Christian, mort il y a moins d’un an des suites d’un cancer fulgurant, et sa petite-fille Caroline, fille de Monique et Christian, emportée par la maladie à l’âge de 26 ans, quelques jours avant la mort de sa grand-mère Lucie en 2014. Maintenant assis à la table de cuisine du ciel, il voudra brasser la soupe d’un monde meilleur qu’il a entrepris de construire avec la Fondation Lucie et André Chagnon.

Merci pour tout, André. Repose en paix.

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