Pendant des années, regarder des pièces d’échecs suscitait chez moi autant d’émotion que d’examiner une roche. Je n’arrivais plus à comprendre comment j’avais pu consacrer autant d’heures de ma jeunesse à ce jeu.

Puis vint la pandémie et avec elle l’ennui, le manque d’interaction et de stimulation. Cela faisait une quinzaine d’années que j’avais disputé mon dernier tournoi, période pendant laquelle ma soif de compétition s’était étanchée à travers le sport.

Les premières parties furent peu convaincantes. Tous les joueurs semblaient en connaître davantage que moi. Pendant mon absence, les échecs avaient changé.

À mes débuts, je devais faire une heure de métro pour me rendre au Spécialiste des échecs et y affronter des joueurs de classe B. Aujourd’hui, j’ouvre mon ordinateur et des milliers de joueurs de partout dans le monde, du débutant au grand maître, sont prêts à en découdre. Laisseriez-vous un enfant sans surveillance dans un magasin de bonbons ?

Mes premiers revers auraient dû me décourager, mais il n’y a pas de meilleur appât pour un compétiteur que la défaite. Plutôt mourir que de s’avouer vaincu.

Pour m’améliorer, jadis, je potassais des ouvrages en reproduisant laborieusement les variantes sur un échiquier. Aujourd’hui, il n’est même plus nécessaire de déplacer les pièces, le choix est vaste entre la vidéo, les problèmes chronométrés ou l’analyse instantanée par ordinateur ; on serait fou de s’en passer.

Rapidement, j’ai retrouvé mon niveau et même plus. Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Continuons pour voir jusqu’où on peut aller. Surtout qu’il ne faut qu’une dizaine de minutes pour disputer un blitz. Et le soir, on peut s’endormir en se laissant bercer par la voix du grand maître Nakamura décortiquant ses parties en direct.

The Queen’s Gambit

Vous ne serez pas étonné d’apprendre que les échecs ont connu un boom de popularité phénoménal pendant la pandémie, auquel a sans nul doute contribué le succès de la série The Queen’s Gambit, sur Netflix.

Tout le monde a vu cette série, mais peu de gens savent que le personnage de Beth Harmon est très fortement inspiré de la carrière du génie des échecs Bobby Fischer, qui ne prenait pas de drogue, à ma connaissance, mais dont l’équilibre mental était pour le moins fragile.

PHOTO PHIL BRAY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Anya Taylor-Joy, alias Beth Harmon, dans The Queen's Gambit

On ne sait trop si les échecs ont contribué à le rendre dingo. En ce qui me concerne, je dois avouer que j’étais rendu accro. Ce n’est pas que les échecs soient mauvais en soi, mais il n’y a malheureusement que 24 heures dans une journée et chacune d’elles ne peut servir qu’une fois, alors il faut faire des choix…

Après deux ans, j’ai cessé toute activité échiquéenne. Je ne fais plus que donner quelques cours à un élève dont j’admire le dévouement à ce noble jeu de l’esprit. Lui aussi me confie qu’il en perd parfois le sommeil.

Il a triché

Tiens, tiens, les échecs font la manchette ces jours-ci. Le jeune prodige Hans Niemann a-t-il triché dans sa partie contre le champion du monde Magnus Carlsen ? Et si oui, comment s’y est-il pris pour se faire envoyer les coups de l’ordinateur sans se faire prendre sur le fait ? Niemann se dit prêt à jouer nu pour prouver qu’il n’a pas triché, ce qui ne prouverait pas grand-chose, sachant que selon une théorie, les coups lui auraient été transmis à l’aide de billes anales…

PHOTO TIM VIZER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le grand maître américain Hans Niemann

Le site chess.com semble avoir tranché la question grâce à une analyse très poussée des parties en ligne de Niemann. Conclusion : il aurait triché dans au moins une centaine de parties, ce qui devrait le disqualifier de toute compétition, à mon avis. Car aux échecs, un dicton bien connu affirme que la menace est plus forte que son exécution. Autrement dit, le simple fait de soupçonner son adversaire de tricherie rend l’affrontement impossible, car l’idée qu’il ait accès à un ordinateur calculant des millions de coups à la seconde nous rend complètement paranoïaque.

Par contre, je ne suis pas d’accord avec Carlsen pour dire que la tricherie est une menace existentielle pour les échecs, car 99 % des parties sont disputées sans enjeu autre que l’honneur et quelle gloire y a-t-il à vaincre de simples humains à l’aide d’un moteur d’échecs ?

Une chose est sûre, parmi les centaines de parties de tournoi que j’ai disputées, la seule où une somme significative était en jeu s’est déroulée en toute légalité. Je ne saurai jamais, par contre, si c’est le fait de jouer pour 10 000 $ qui avait fait craquer mon adversaire ou s’il avait été déconcentré par ma cravate sur laquelle était imprimé un superbe nu de Gauguin.

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