Le début de la campagne électorale ne laissait pas présager que l’immigration allait être un enjeu déterminant, alors que c’est l’inflation qui était sur toutes les lèvres. Mais comme la Coalition avenir Québec (CAQ) a multiplié les bourdes sur le sujet, certains l’ont accusée de jouer sur la « peur des immigrants » afin d’assurer sa réélection. Il n’en fallait pas plus pour qu’on en discute chaque jour.

Il est vrai que la déclaration de Jean Boulet selon laquelle 80 % des immigrants ne travaillent pas avait de quoi faire réagir. Cette affirmation, fausse, a été condamnée à raison par toute la classe politique, y compris la CAQ, et par tous les commentateurs. Rares sont les évènements et déclarations qui ont déclenché une réaction aussi unanime dans l’espace public.

Malgré cette réponse médiatique à sens unique, certains ont voulu présenter la CAQ comme un parti qui brandit la menace de l’immigration afin de convaincre les électeurs de voter pour elle. Rien n’indique que les commentaires comme ceux de Boulet ont convaincu les électeurs. Au contraire, on a plutôt vu les intentions de vote pour la CAQ diminuer à mesure qu’avançait la campagne.

D’ailleurs, présenter la CAQ comme un parti « anti-immigration » est pour le moins curieux. Le Québec accueillera 70 000 immigrants en 2022, un record. Il est vrai que c’est en raison d’un rattrapage pandémique et que la CAQ garde le cap sur les 50 000 immigrants par année.

Il n’en demeure pas moins que la CAQ entrera dans les livres d’histoire comme le parti « anti-immigration » qui a accueilli le plus d’immigrants en une année au Québec. C’est pour le moins paradoxal.

Cela dit, on serait naïf de penser que les partis politiques et certains commentateurs n’ont pas profité des bourdes de la CAQ pour critiquer toute position cherchant à limiter l’immigration au Québec. On peut être blessé par un propos et en profiter pour faire des gains politiques.

Il ne fait aucun doute que sur le plan rhétorique, les affirmations comme celle de Boulet sont très utiles pour les partisans du « toujours-plus » en matière d’immigration. Ils peuvent ainsi amener cet enjeu sur le plan de la morale et par le fait même verrouiller le débat. On présente ceux qui cherchent à réduire ou maintenir les seuils d’immigration comme des personnes fermées, intolérantes, voire racistes, et ceux qui cherchent à les augmenter comme des personnes ouvertes sur le monde et vertueuses.

Mais l’immigration n’est pas la charité. Il n’y a absolument aucune valeur morale supérieure à demander une hausse des seuils. L’immigration que l’on reçoit est majoritairement d’ordre économique, on ne parle pas ici de réfugiés.

Le fait de moraliser la question de l’immigration permet donc aux partisans du « toujours-plus » de ne pas répondre au fait que l’immigration a un effet marginal sur la pénurie de main-d’œuvre, que la hausse des seuils envenime la pénurie de logements et que l’immigration participe, sans en être l’unique facteur, à l’anglicisation du Québec.

Le débat sur l’immigration est aussi l’occasion pour plusieurs partis d’agiter l’épouvantail du « nationalisme identitaire » québécois.

Le Parti libéral du Québec et Québec solidaire jouent donc aussi sur la peur, mais sur celle que le Québec serait sur le point de porter au pouvoir un gouvernement xénophobe.

D’ailleurs, ce fameux « nationalisme identitaire » consiste concrètement à défendre le français comme langue commune et la neutralité religieuse chez les employés de l’État en position d’autorité. Ce sont des positions débattables, mais elles sont loin de représenter des dérives identitaires comme on tente de nous le faire croire.

Malgré cette polarisation sur l’immigration, il y a moyen de parler intelligemment de cet enjeu. Tout au long de sa campagne, Paul St-Pierre Plamondon a commis un sans-faute lorsqu’il parlait d’immigration. Il a soigneusement distingué l’immigration comme phénomène économique, social et culturel, et les immigrants comme individus à respecter.

PSPP a montré qu’il était possible de défendre une baisse des seuils tout en cherchant à intégrer le mieux possible les immigrants. Ces deux positions vont de pair, mais il est payant pour les partis qui souhaitent une hausse de les présenter comme incompatibles.

Le résultat de cette campagne intelligente sur l’immigration est que le PQ a à peine été critiqué sur cet enjeu, et ce, même s’il est le seul parti qui propose une baisse des seuils. C’est qu’on voit qu’une fois qu’on évacue le prétendu caractère moral de la hausse des seuils d’immigration, les arguments en sa faveur sont bien ténus.

La CAQ doit prendre des notes pour son prochain mandat.

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