Le 24 août dernier, la Cour constitutionnelle de Thaïlande a suspendu le premier ministre et général responsable du coup d’État militaire de 2014, Prayut Chan-o-cha, le temps d’étudier une pétition sur la possibilité d’avoir atteint la limite constitutionnelle fixée à huit ans pour occuper la fonction de premier ministre.

La décision de la Cour a finalement été rendue le 30 septembre. Verdict : le premier ministre peut rester en poste, le tribunal ayant statué que la limite du mandat s’appliquait uniquement à partir de l’instauration de la nouvelle Constitution de 2017. Une décision controversée, quoique peu surprenante, qui viendra certainement susciter d’importantes manifestations dans les jours à venir.

Retour sur les rivalités politiques ayant mené à cette saga judiciaire

En janvier 2001, Thaksin Shinawatra, un des hommes d’affaires les plus riches du pays, remporte une écrasante majorité aux élections contre le Parti démocrate, un parti de centre droit attaché à la monarchie. Malgré une hausse importante de sa majorité aux élections de 2005, Thaksin est renversé l’année suivante par un coup d’État militaire pour corruption et abus de pouvoir. Reconnu coupable à trois reprises par une branche judiciaire se positionnant de plus en plus en faveur de l’élite conservatrice et royaliste, Thaksin ne peut plus se présenter aux élections et son parti politique se voit dissous sur décision du Conseil constitutionnel le 30 mai 2007.

En opposition à cette décision, le clan de Thaksin crée un nouveau parti la même année, soit le Pheu Thai, avec, à sa tête, la sœur cadette de Thaksin, Yingluck Shinawatra. Celle-ci remporte une importante majorité avec 265 sur 500 sièges aux élections de 2011, mais est finalement renversée par un autre coup d’État en 2014, le 19e de son histoire.

Derrière ce coup d’État est le général et actuel premier ministre de la Thaïlande, Prayut Chan-o-cha, ce dernier promettant un retour à la démocratie. Prayut instaure une nouvelle constitution en 2017 lui offrant un avantage considérable pour les futures élections : en plus d’une Chambre des représentants de 500 membres élus par la population, un Sénat de 250 personnes participe au choix du premier ministre. Or, les 250 membres de ce Sénat sont nommés par la junte militaire, assurant leur soutien au gouvernement militaire.

Il faudra attendre 2019 pour voir de nouvelles élections. Les résultats montrent une division importante entre les supporters de Prayut et des Shinawatra. C’est finalement le premier qui l’emporte, fort du soutien de 249 des 250 membres du Sénat nommés par la junte.

Qu’est-ce que nous apprend la décision de la Cour ?

C’est sans grande surprise que la décision de la cour vient donner raison à Prayut. Dès la décision de suspendre temporairement le premier ministre, plusieurs militants restaient sceptiques quant à la décision de la cour constitutionnelle. Pour ces groupes d’opposition, la cour ne cherchait qu’à gagner du temps pour trouver une interprétation légale permettant à Prayut de rester au pouvoir.

À cet effet, quelques jours plus tôt, la division pénale de la Cour suprême venait d’acquitter l’ancien vice-premier ministre Suthep Thaugsuban pour cas de corruption. Suthep était l’un des plus ardents critiques des Shinawatra et une figure de proue de l’imposant mouvement contestataire qui occupa le palais du gouvernement en 2013.

Quel avenir pour la démocratie en Thaïlande ?

Alors que les prochaines élections sont prévues le 7 mai 2023, trois factions politiques convoitent la victoire. Le parti militaire Palang Pracharat à la tête du gouvernement depuis le coup d’État de 2014 ; le Parti Pheu Thai, dont la candidate aux élections serait possiblement la fille de Thaksin, Paetongtarn Shinawatra, cette famille occupant une place importante dans la scène politique du pays depuis 2001 ; et le nouveau parti Move Forward, qui fait campagne sur une plateforme progressiste et antimilitariste.

Or, trois défis importants s’imposent à ces deux derniers partis voulant renverser le parti Palang Prachatat : la forte résistance des militaires s’accrochant au pouvoir ; une cour constitutionnelle qui s’aligne de plus en plus en faveur du régime militaire ; et un Sénat non élu de 250 membres nommés par la junte ayant un poids considérable dans l’élection d’un premier ministre.

Il va sans dire que les élections à venir constituent un tournant pour la démocratie en Thaïlande, surtout que les 13 années d’exil politique de Thaksin font cruellement défaut à la mémoire des jeunes étudiants, nouveaux électeurs. À suivre alors ces nouveaux partis politiques qui se positionnent comme solution pour sortir le pays de la polarisation actuelle entre Prayut et les Shinawatra, car cette rhétorique a trouvé preneur chez ces jeunes électeurs.

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