Comment se fait-il que des mots qui sortent de la bouche de François Legault et de son ministre sortant de l’Immigration, Jean Boulet, concernant les personnes immigrantes si souvent ne reflètent pas ce qu’ils pensent ? Surtout quand on met tant de ressources et d’énergie à les sélectionner, à les recruter et à les franciser. On dirait un aveu d’échec total en matière de sélection et d’intégration ! Ce qui n’est évidemment pas confirmé par les faits.

Ces déclarations irréfléchies pourraient bien s’expliquer avant tout par une mauvaise compréhension du système d’immigration au Québec. Mais avouons qu’il est complexe et, surtout, que de nombreux éléments restent à améliorer. Et que, pour ce faire, il serait important de se servir de l’ensemble des moyens dont dispose déjà le gouvernement du Québec.

Il est bien connu par n’importe qui suivant le dossier depuis les dernières années que l’immigration temporaire dépasse de loin le nombre de personnes qui obtiennent leur résidence permanente chaque année, mais on n’en tient aucunement compte dans la planification.

M. Legault prétendait en 2018 vouloir « prendre soin » des personnes immigrantes qui arrivent au Québec. Une affirmation un peu paternaliste, mais néanmoins un sentiment louable. Tout le monde peut gagner avec un accompagnement en arrivant dans un nouveau pays. Simon Jolin-Barrette, premier ministre de l’Immigration de ce gouvernement, a répété à plusieurs reprises lors d’un panel électoral sur l’immigration à Radio-Canada : le Ministère a augmenté considérablement les ressources financières et humaines en francisation et en intégration, et ce, dans toutes les régions du Québec. C’est vrai, mais on n’a aucun indicateur de résultat.

On nous répète constamment que le Québec n’a pas les pouvoirs qu’il lui faut en immigration, particulièrement en immigration temporaire et en ce qui a trait aux exigences linguistiques dans certaines catégories.

Soyons claire. En matière d’immigration permanente, c’est le Québec qui sélectionne de A à Z les « travailleurs qualifiés » (la grande majorité de la catégorie économique) et applique sa propre grille de sélection et ses propres conditions.

Quant aux personnes parrainées dans les catégories familiales et humanitaires, la personne – ou groupe, dans le cas des personnes réfugiées – qui parraine doit signer un contrat d’entente avec le ministère de l’Immigration du Québec avant que le fédéral accorde la résidence permanente aux personnes parrainées. En ce moment, ces contrats n’incluent aucun engagement de la part du parrain ou de la parraine visant à faciliter, au besoin, l’apprentissage du français.

En ce qui concerne l’immigration temporaire, l’Accord Canada-Québec stipule clairement que le consentement du Québec est requis avant l’admission de « tout étudiant étranger » et de « tout travailleur étranger temporaire ». Ça veut dire que le Québec peut décider du nombre de ces personnes qui recevront ce consentement chaque année et à quelles conditions. Il pourrait ajouter des conditions linguistiques, mais il ne le fait pas.

On fait le lien constamment entre l’immigration et le déclin du français. Il s’agit d’une autre fausse affirmation qui rabaisse en quelque sorte encore les personnes immigrantes. Il est de plus en plus évident, surtout dans les travaux de Charles Castonguay, Marc Termote et d’autres experts, que c’est le faible taux de natalité et l’anglicisation des francophones qui expliquent la courbe à la baisse de l’utilisation du français au Québec. Aucun ajustement dans la politique d’immigration ne va renverser cette tendance.

Cela étant dit, il est évident que pour bien « prendre soin » des personnes qui ne parlent pas français, l’offre de services en francisation est critique.

Les enfants d’âge scolaire sont couverts par l’obligation de s’inscrire à l’école française, mais 75 % de l’immigration permanente et presque 100 % de l’immigration temporaire est adulte. Ils travaillent (malgré les commentaires du ministre). Il faut donc tout faire pour faciliter la francisation en milieu de travail. Aucune donnée publique n’est disponible sur les efforts du gouvernement à cet égard. Avec la réforme de la Charte de la langue française, on renomme une unité du ministère de l’Immigration « Francisation Québec », mais on n’oblige aucune reddition de comptes de sa part.

Le gouvernement caquiste dit vouloir garder bas le seuil d’immigration permanente, disant sans aucune preuve à cet effet que son chiffre représente la capacité d’accueil au Québec. En même temps, le Ministère se donne un objectif dans son plan stratégique d’augmenter le nombre de travailleurs étrangers temporaires. Cherchez l’erreur !

Comme Marc Termote l’a si bien dit dans son rapport à M. Boulet ce printemps, « on demande beaucoup à nos immigrants : on leur demande de remplacer les enfants que nous n’avons plus, on leur demande d’avoir les enfants que nous ne voulons plus avoir, on leur demande d’exercer les emplois que nous ne voulons ou ne pouvons pas exercer, on leur demande d’aller en région alors que nous ne voulons pas y aller, et on leur demande de se franciser au plus vite alors que notre propre comportement linguistique est plutôt laxiste ».

Il faut en finir avec des déclarations irréfléchies. La méconnaissance du système d’immigration du Québec, qui est, on le répète, complexe et aberrante, est un obstacle à son amélioration. Un forum national regroupant l’ensemble des parties prenantes et des ministères concernés permettrait une réflexion sérieuse et commune sur le modèle d’immigration et d’intégration qui servira le mieux l’avenir du Québec.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion