Cette semaine, Farida, une demandeuse d’asile iranienne, et sa fille ont franchi le seuil de notre porte à Foyer du Monde, une des seules maisons d’hébergement à moyen terme pour familles demandeuses d’asile à Montréal. Elle vient pour une rencontre d’admission puisqu’une de nos 13 chambres s’est libérée.

Farida est infirmière et militante féministe. Après avoir reçu des menaces de mort, elle a tout laissé et a quitté son pays in extremis avec tout juste assez d’argent pour les premiers jours. Elle nous raconte que, trois semaines après son arrivée, n’ayant nulle part où dormir, elle a passé deux nuits sur un banc de parc à Montréal avec sa fille, prête à tout abandonner. Jamais Farida n’aurait pensé en arriver là. Au-delà de l’humiliation, c’est aussi un sentiment d’abandon profond qui l’habite. Malheureusement, depuis la pandémie, son histoire ne nous est pas étrangère…

À leur arrivée au Québec, les personnes demandeuses d’asile comme Farida ont droit à deux semaines d’hébergement dans des centres gouvernementaux après quoi on leur montre la porte.

Sans parler la langue, sans connaître le système, sans avoir le droit de travailler, avec une liste d’annonces de logements Kijiji et un chèque d’aide sociale en main, les quelque 25 000⁠1 demandeurs d’asile venus au Québec cette année doivent se lancer dans une quête impossible.

Sans surprise, très peu de migrants demandeurs d’asile trouvent réellement un appartement. Certains seront hébergés chez des membres de leur famille éloignée ou, s’ils sont chanceux, des amis. Un peu plus de 500 privilégiés auront une place dans un des rares hébergements temporaires pour familles migrantes à Montréal comme Foyer du Monde⁠2, des hébergements fonctionnant sans financement gouvernemental. Alors que d’autres migrants seront contraints d’accepter des situations d’insalubrité et d’exploitation ou, pire, devront dormir dans la rue faute de meilleure solution…

Cette nouvelle réalité passe sous le radar. Le Refuge des jeunes de Montréal, comme d’autres, s’inquiète du fait que cette clientèle représente désormais 10 % des personnes desservies⁠3. Les organismes en itinérance ne sont pas formés pour cette clientèle, qui alourdit leur tâche, et ils ne constituent pas un environnement adapté à une famille migrante.

Direction l’Ontario

Heureusement (!), depuis quelques semaines, Québec a trouvé une nouvelle solution : mettre les familles migrantes qui n’ont pas réussi à fournir une adresse au Québec dans des autocar en direction de l’Ontario. Il ne faudrait surtout pas qu’au Québec on ait des campements de fortune pour migrants.

Nous savons pourtant comment soutenir ces personnes migrantes. Le problème, c’est que le gouvernement provincial ne veut pas « gérer » une clientèle qui relève du fédéral. La question devient politique.

Québec se ferme donc les yeux en se répétant « ça va bien aller ». Pis encore, le gouvernement québécois réduit ses services aux familles demandeuses d’asile en portant en appel l’accès aux garderies pour ces parents.

Avec la réouverture des frontières, on insinue que le véritable problème ce sont les migrants qui traversent, et non pas l’accueil que nous leur réservons. Pourtant, demander l’asile est un droit de la personne reconnu au Canada comme dans tous les pays membres des Nations unies. Ce n’est pas illégal. La Charte québécoise des droits et libertés stipule d’ailleurs que toute personne, même de passage sur le territoire québécois, a droit à la dignité.

En rentrant de l’école aujourd’hui, Karim, un petit Afghan qui habite au Foyer du Monde depuis quelques mois avec sa sœur et ses parents, arrive fièrement avec un ballon gonflé. Quand je lui dis : « Oh wow ! il est beau ton ballon ! » Karim me reprend : « C’est une balloune pas un ballon ! » ! J’ai éclaté de rire… Heureusement que là où le système abandonne certaines personnes, il y a toujours une communauté qui répare les pots cassés. Mais jusqu’à quand encore ?

1. 25 085 demandes de janvier à juillet 2022 

Consultez la page Demandes d’asile par année – 2022

2. Les hébergements pour familles demandeuses d’asile et sans statut à Montréal que nous connaissons sont le Pont (35-40 places) et le Centre Latraverse (25 places).

3. Échange téléphonique avec Philippe Lacerte, coordonnateur du Refuge des jeunes de Montréal, 8 août 2022

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