La présente campagne donne l’impression de regarder un monde parallèle, presque aussi virtuel que l’environnement engendré par la COVID-19.

De fait, il est difficile de comprendre qu’un cycle de quatre ans suffise pour réinventer le monde, ou du moins la société québécoise. Par contre, nos hypothèques sont établies sur un terme de remboursement de 20 à 30 ans, alors que la société s’évertue à revoir tous ses fondements en 35 jours de campagne tous les quatre ans.

Dans mon domaine, l’oncologie, chaque avancée est prévisible des années à l’avance. Le développement clinique d’un nouveau test ou traitement prend entre 4 et 10 ans. Des centaines d’études rapportent des résultats à intervalles périodiques, parfois positifs, souvent négatifs. C’est la réalité du développement. Les remises en question fondamentales sont rares, puisque la science avance généralement à petits pas. On n’invente pas la pénicilline tous les jours ! Cette notion de la science est historique, alors que la réalité est faite de travail quotidien acharné, encombré d’échecs et d’éternelles reprises. Ne devrait-il pas en être de même pour les dirigeants de la société civile ?

Il est donc surprenant de voir tant de propositions nouvelles et révolutionnaires à leurs yeux émaner de partis politiques, et spécifiquement de celui formant le gouvernement qui a eu le loisir d’actualiser son plan et de proposer à la population de le poursuivre, ou pas…

Pourquoi les partis et la population se rattachent-ils tant à ce contenu promis presque à la sauvette, sans temps d’analyse par des experts indépendants en affaires publiques ? Et au surplus, pourquoi la population reçoit-elle ces crues de propositions alors que pendant quelques années, les politiciens ont été plus portés à se pourfendre qu’à travailler conjointement au développement de l’essor collectif ?

À l’instar de la méthode scientifique, chaque parti aurait avantage à étayer un programme sur des années avec un objectif pédagogique et de ralliement qui peut difficilement s’opérer en 35 jours. A contrario, pour se distinguer pendant la campagne, l’un dit blanc et l’autre dit noir, alors que la vérité ou la solution ont souvent une teinte grisâtre.

Cela milite encore plus pour le désinvestissement nécessaire des députés dans la gestion quotidienne de l’État. Sortir la politique de la gestion quotidienne des ministères et cesser de permettre d’utiliser l’avoir public à des fins électoralistes. Les candidats devraient présenter des objectifs à court et moyen termes assortis d’un budget et laisser une fonction publique indépendante et compétente les implanter.

Donner suite

Je me permets de revenir à l’oncologie. Il y a 20 ans, dans mes premières années de pratique, un programme relativement cohérent de cancérologie pour le Québec a été proposé et élaboré par la communauté médicale et des associations de patients avec le ministère de la Santé. Dépistage, registre des cas, centre de soins intégrés, évaluation des résultats, participation à la recherche, accès à l’innovation, soins palliatifs, etc. Les nombreuses pages pondues sont maintenant au recyclage, n’ayant servi qu’à garnir bibliothèques et discours politiques. Les intentions sont restées lettre morte et les politiciens se sont succédé sans réellement donner suite, après avoir demandé une mobilisation substantielle des intervenants impliqués pour créer ce document.

Il est de mon opinion qu’en conséquence, le Québec, qui est une société relativement prospère, ne participe pas à la mesure de ses capacités à la production de connaissances en oncologie et n’évalue pas adéquatement la qualité des soins actuellement prodigués.

Par manque de ressources, de structure, de vision. Surtout de vision, puisque l’horizon d’un politicien n’est que de quatre ans. Nous adoptons en retard les avancées, nous nions aux patients le droit à des options, nous sous-utilisons les capacités médicales et professionnelles en les enterrant dans des tracas administratifs plutôt qu’en stimulant à participer à la recherche. Voilà le type de discussions que devrait offrir une campagne électorale : faire le point sur notre place dans le monde, en oncologie, en santé, en éducation, en environnement, etc. Mais c’est probablement trop demander quand la soif de l’épithète du jour a plus d’importance pour gober l’attention de journalistes qui ont aussi des termes limités et qui favorisent la recherche d’un sujet pour la tombée à la profondeur de l’analyse.

En ce moment, chacun dans la société québécoise cherche préférentiellement son bonbon dans la panoplie de mesures plutôt que de s’intéresser au développement social, comme un plan cohérent d’intervention pour réduire la mortalité par cancer. Cela est en ligne avec les propositions politiques qui sont volontairement clientélistes. Un discours inclusif et public continu s’avère nécessaire pour réintégrer la politique dans un quotidien dénudé de salves partisanes et qui sera capable d’asseoir les fondements d’une société capable d’évoluer sans s’astreindre à un exercice de leadership politique devenu futile, contre-productif, marketé et factice.

Jean-Pierre Raffarin, homme d’État français, a dit que les élections n’effacent pas les problèmes. Comme il a raison ! J’oserais ajouter que la politique primaire les rend pires, en exacerbant les passions aux dépens de la conciliation et de la définition factuelle des enjeux. Pendant ce temps, les patients atteints du cancer que je côtoie vivent d’un espoir que la politique ne peut leur fournir, malgré les promesses. Seulement la science et un plan actualisé pour prendre soin d’eux.

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