La nouvelle saison télévisuelle québécoise semble marquée par le retour d’un genre peu fréquenté en ces terres consensuelles : le débat. Noovo propose ses Débatteurs tous les soirs, Stéphan Bureau, son Monde à l’envers, à TVA le vendredi. Tout le monde applaudit à cette bonne nouvelle : même si nous sommes notoirement paisibles, nous adorons être assis au bord de nos sofas en comptant les points !

Nous partons de loin. Je suis bien placée pour le constater, moi qui animais Il va y avoir du sport à Télé-Québec au tournant du siècle. Mon équipe et moi avions déjà toute la difficulté du monde à convaincre des spécialistes en tous genres, des personnalités, des politiciens, voire des militants, de venir débattre de leur point de vue face à un adversaire. Kess tu veux, au Québec, on n’aime pas la chicane. On craint la dissonance, on ne veut faire de peine à personne ni amocher le légendaire consensus. Les milieux — artistique, universitaire, politique, communautaire – sont petits et tissés serré. Ici, on passe en un clin d’œil de politicien à commentateur : il ne faudrait pas s’aliéner un éventuel collègue.

Pas un hasard si le modèle le plus abouti de débat au Québec appartient au monde du sport, avec le regretté 110 %. Tout y était. Passion, connaissance, opposition.

Le sport est un exutoire reconnu, et les discussions enflammées qui en résultent finissent à tout coup dans l’amour commun du sujet. Par ailleurs, notre système d’éducation, depuis longtemps, ne forme plus à l’art de la rhétorique et de la contradiction. Bref, à intervalles réguliers, un réseau lance une formule de débats, et en 12 émissions, on tire la plogue.

Certes, il y a déjà profusion de ce qui s’apparente à des débats sur nos ondes radio et télé. Paul Arcand a donné le ton avec sa Commission matinale il y a une quinzaine d’années. Radio-Canada s’est approprié la formule, en plus « policé ». Le Club des Ex de RDI a fait école : de La joute en CA, des débatteurs passent la déclaration du jour à la moulinette plusieurs fois par jour sur toutes les chaînes d’info. En fait, il s’agit plus d’opinions exprimées fort et à répétition que de débats.

Un véritable débat contradictoire implique de l’information, se nourrit de faits, de données probantes, ne se satisfait pas du « ressenti » et du « moi, j’pense »… Il ouvre la porte sur des solutions. Il existe pour nourrir le jeu démocratique, pour faire avancer la discussion collective, jeter des éclairages contrastés sur des enjeux communs. Ce n’est pas qu’une opération spectaculaire visant à faire de la cote d’écoute à tarif réduit.

De vrais débats se tiennent malgré tout au Québec, mais pas de manière frontale. Plutôt par tribunes interposées ; un média, un chroniqueur contre tel autre. À travers ces pugilats en silo, le lecteur, téléspectateur, citoyen rame pour obtenir tous les points de vues.

Pourtant, en 2012, lors de la grève étudiante, ça débattait très fort dans la société, dans les médias, les familles, les communautés. Certains ne s’en sont pas encore remis. On se souvient encore des débats enflammés qui ont agité le Québec pendant l’épisode des accommodements raisonnables, puis de la Charte des valeurs. Plus récemment, le spectacle SLÀV a créé la polémique. Le débat est une soupape, un exutoire, le chemin que prennent les idées pour s’ouvrir sur une réalité changeante.

Le Québec se porterait-il mieux s’il y avait eu des émissions de débat à la télé pendant la pandémie et son déficit démocratique ? Je laisse la question au milieu du ring…

Le 4 octobre au matin, le Québec sera presque entièrement bleu pâle. À l’Assemblée nationale, lieu traditionnel du débat politique démocratique, l’opposition sera morcelée et faible. Le consensus semblera régner au Caquistan, mais il sera superficiel.

Car nous sommes de moins en moins consensuels. Il y a de plus en plus de sujets qui divisent, d’opinions clivantes, de différences démographiques, de thèmes inédits qui surgissent et restructurent la société et le discours. Tout cela nous confronte dans nos opinions, qu’elles soient assurées ou vacillantes. Ça prendra des espaces de discussion pour faire baisser la pression. Des lieux plus civilisés que les réseaux sociaux. On dirait que la télévision vient d’allumer et de comprendre le besoin ! Tout cela laisse présager quatre années propices aux (vraies) émissions de débat au Québec…

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