Je ne m’en cache pas, je n’ai jamais été une adepte du télétravail. Même en juin 2020, quand on en vantait les vertus, je ressentais un malaise. Sans trop savoir pourquoi, instinctivement, j’étais préoccupée.

Aujourd’hui, on me dit que notre bureau est l’un des plus vivants du centre-ville. Nous ne sommes pas une grosse équipe, peut-être est-ce plus facile. Nous n’avons pas imposé une obligation d’un nombre de journées, nous n’avons pas démonisé le télétravail, mais nous avons parlé de tout ce que le contact humain pouvait nous apporter. Nous avons organisé encore plus d’occasions de nous croiser et d’interagir au bureau. Et surtout, nous avons donné l’exemple. Nous sommes là. Nos gestionnaires sont là. Et l’effet boule de neige opère. Au début, nous étions quatre ou cinq irréductibles et, petit à petit, le bureau s’est rempli à nouveau. L’action, la vie, l’informel, la spontanéité attirent et retiennent. Tout le monde n’est pas de retour. Ce n’est pas une exigence, mais un désir. Une ambition.

Or, depuis quelques semaines, je me sens à contre-courant de ce qui est véhiculé médiatiquement.

Mais je persiste et signe. Car je suis inquiète de l’effet général du télétravail sur l’ensemble de notre société.

Je le trouve pernicieux pour nous, individuellement : pour notre santé mentale, pour notre capacité à ventiler et à créer des liens avec nos collègues, pour l’élimination de cette limite claire entre le travail et la maison, pour les temps de transition entre les réunions qui n’existent plus, pour la difficulté à côtoyer des mentors, pour le manque d’entraide organique. Pour notre besoin d’appartenir à quelque chose de collectif. Pour cette occasion de tripper en groupe et de contribuer à trouver des solutions en équipe, de développer notre ingéniosité, notre intuition et notre confiance. Pour notre ouverture sur le monde, notre acceptation de la différence — le fait de moins sortir de la maison risquant de provoquer un repli sur soi.

Je le trouve risqué pour de nombreux professionnels. Quand les cadres ou les gestionnaires reviendront davantage au bureau et que seulement certaines ressources décideront de leur emboîter le pas, qui aura les meilleures connexions ? Qui aura le plus d’information ? Qui sera encore de la conversation quand l’écran d’une réunion hybride se sera refermé ? Qui se fera demander de travailler sur les dossiers les plus intéressants ? Je suis inquiète de l’impact que pourrait avoir un trop-plein de télétravail sur les jeunes, les parents ou ceux qui préfèrent éviter le trafic.

Plus important encore, je suis inquiète que les femmes, plus souvent que les hommes, choisissent ce mode de travail. J’en comprends certains bénéfices, mais je suis préoccupée par les conséquences insidieuses que ce choix aura sur la place des femmes au sein des organisations, particulièrement les plus grandes.

Et les entreprises aussi sont susceptibles d’en souffrir. Qu’adviendra-t-il de leur capacité à mobiliser, à créer une culture, à former les plus jeunes, à intégrer les nouveaux employés, à être créatives ? Qu’adviendra-t-il des nécessaires conversations informelles au détour d’un corridor et, donc, des précieuses occasions, pour les employeurs, de prendre le pouls de leur monde, de régler des tensions entre collègues, d’encourager la collaboration, les idées spontanées, l’entraide, l’amitié et le plaisir de plancher sur un projet difficile en équipe ?

Sans parler des dommages pour nos villes : pour la synergie entre les différentes entreprises et industries, pour les idées qui émergent par le hasard de rencontres entre les écosystèmes qui ne se ressemblent pas. D’ailleurs, Edward Gleaser, professeur d’économie à Harvard, a énoncé l’importance de ces interactions pour les villes par cette idée, appelée « collision rate », selon laquelle les villes se développent et s’épanouissent parce qu’elles permettent ces contacts non planifiés qui sont le berceau de la créativité et de l’innovation.

Enfin, on ne peut passer sous silence que le télétravail met en péril la vitalité urbaine, parce que ce nouveau mode crée une diminution importante d’achalandage chez nos petits commerces et nos restaurants qui sont le poumon de nos quartiers.

Quels effets le télétravail aura sur nous à long terme ? Parce qu’avec le télétravail, mon impression est que le « nous » existe moins. Je sais que les gens aiment bien travailler du confort de leur maison. On l’a dit et redit : la disparition du trajet, le calme de notre demeure, la proximité avec les enfants et j’en passe ; tout ça semble sans faille. Pourtant, je suis convaincue que cet isolement comporte des risques que nous commençons à peine à ressentir.

En fait, après deux ans de pandémie et de bouleversement du monde comme nous le connaissions, ce n’est pas de télétravail ni de travail hybride qu’on devrait parler, mais bien de flexibilité, d’indulgence et de compréhension.

On n’est plus à l’ère d’une règle unique pour tous. Être patron en 2022, ça veut dire exercer un leadership empathique et tenter de s’adapter, le plus possible, aux réalités de chacun.

Donc, malgré la tendance et ce que nous apprend l’actualité depuis quelques semaines, mon amour du contact humain et ma certitude de son importance l’emportent.

Je suis convaincue que nous sommes gagnants à être ensemble la plupart du temps. Je suis persuadée que nous avons besoin d’un contact riche et régulier entre nous. Parce qu’une entreprise, une organisation, une industrie, une ville, une collectivité, c’est bien plus que des écrans. C’est de l’humain !

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