Hé ! Youhou ! Par ici ! Nous sommes encore là !

Bonjour, ici les anglos, vos co-Québécois parlant la langue de Nick Suzuki, un gros 13,7 % de la population, selon Wikipédia. Qu’est-ce qu’on doit faire pour avoir un peu de votre attention dans cette campagne électorale ?

Oui, on boude, on s’excuse. Jamais nous n’avons été aussi insignifiants au Québec. Il fut un temps où nous faisions pencher la balance du pouvoir en faveur de notre camp aux élections, il fut un temps où nous décidions des référendums. Nous étions quelqu’un, et nous étions respectés. « L’argent et les votes ethniques », ça vous dit quelque chose ? C’était nous.

Ah, le bon vieux temps, quand les anglos, puissants et craints, étaient d’actualité. En ce moment, nous sommes invisibles, loin d’être importants, et nous n’existons que comme une pensée après coup… un peu comme le PQ.

La valeur de nos votes plonge plus vite qu’un portefeuille de cryptomonnaie garni de jetons non fongibles. Le premier ministre Legault est allé jusqu’à nous effacer du site de la CAQ et, flagrant délit d’arrogance, il sera absent du débat en anglais (ainsi que Paul St-Pierre Plamondon… surtout après le paragraphe précédent). Si ce n’était d’Éric Duhaime et de sa fervente opposition à la loi 96, les anglos seraient autant ignorés qu’un plateau de crudités molles à la cabane à sucre de Martin Picard.

Partis de protestataires

Mais ne dites surtout pas qu’on ne pas fait d’efforts ! Il n’y a pas un, mais deux partis de protestataires anglophones qui tentent de soutirer assez de votes aux libéraux pour avoir un ou deux députés à l’Assemblée nationale. Ça semble farfelu ? En 1991, c’est aussi ce qu’on pensait du Bloc québécois, mais voyez jusqu’où ça les a menés ! Ils défendent les droits du Québec à Ottawa, et reçoivent une grosse pension du Canada lorsqu’ils ont fini de lui faire des jambettes. L’élection d’un candidat du Parti canadien du Québec et/ou du Bloc Montréal risque de brasser la cage d’une CAQ dominante, comme les gros méchants tout bariolés et bruyants d’un spectacle de lutte.

Mais même ces partis sont considérés par la majorité avec nonchalance et haussements d’épaules. Les seuls anglos qui fâchent vraiment les gens sont les entrepreneurs connus qui habitent au sud de la frontière, comme Brian Hannasch, PDG de la chaîne québécoise Couche-Tard. (Suggestion : et si on créait un programme d’équilibre linguistique, comme lorsqu’on compense avec des crédits de carbone ? Chaque Hannash ferait contrepoids à une Manon Brouillette, anciennement de Videotron, et maintenant PDG du Verizon Consumer Group au New Jersey.)

Alors, qui sont les anglos ? Franchement, nous sommes comme vous… ou presque. Nous avons accepté notre sort et notre position. Au fond, un anglo qui vit encore au Québec est intégré. En tant que peuple (on vous laisse le mot « nation »), nous sommes atrocement dociles. Nos dissidents ne protestent même pas tant que ça. Pas de camouflage de STOP sur les panneaux ; si nous sommes malheureux, nous profitons d’une longue fin de semaine pour plier bagage et relancer nos affaires ailleurs.

Cela dit, ce n’est pas facile d’être un Anglo-Québécois aujourd’hui. Nous comprenons que vous soyez préoccupés par l’avenir du français, mais nous ne pouvons pas accepter que la langue anglaise soit traitée comme une vilaine cicatrice qui doit être estompée, comme une langue ennemie qui doit être réduite au silence. Mais cessez de nous blâmer !

Nous sommes comme vous ! Nous sommes des parents qui veulent simplement que leurs enfants aient une bonne éducation. Nous sommes des patients qui veulent simplement comprendre le pronostic expliqué par leur médecin de famille… si nous pouvons en trouver un.

Nous ne sommes pas les méchants ; nous ne sommes pas coupables. Si vous cherchez un bouc émissaire, blâmez plutôt les sirènes de l’internet et la machine médiatique que sont les États-Unis. Désolé, M. Legault, mais les lois 21 et 96 ne feront pas le poids dans le cyberespace ou au pays de l’Oncle Sam. Les cyberjeunes connectés et cool voudront toujours parler anglais, et trouveront un moyen de le faire. L’anglais deviendra une langue de contrebande : plus on en fera un tabou, plus elle sera séduisante. J’entrevois l’avenir de l’anglais au Québec : parlé mystérieusement dans des fumeries d’opium et imprimé dans des arrière-boutiques clandestines comme un fruit défendu et fascinant, vendu à prix fort.

Ce qui m’amène à mon argument principal — vous savez ce que vous ressentez lorsque vous pensez à la langue française ? Qu’elle est vulnérable, qu’elle doit être protégée, qu’il y a de grandes forces maléfiques à pied d’œuvre pour la détruire ? Je vais vous confier un secret… c’est EXACTEMENT ce que nous, les anglos, ressentons pour l’anglais au Québec ! Nous avons tant en commun. Nous sommes dans le même bateau, mais nous ramons dans des directions différentes sur le lac du Respect.

Je vous offre une dernière petite réflexion : nous sommes un microcosme de vous. Ou, exprimé de manière plus valorisante, vous êtes un macrocosme de nous. Il y a un petit peu de vous en nous et de nous en vous… à tel point que j’ai intégré 46 mots communs au français et à l’anglais dans les 869 mots de ce texte (essayez de les trouver tous !). Bon, c’est pas 13,7 %… mais c’est très pertinent.

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