Le dictionnaire Robert offre une définition courante de l’inertie : un manque absolu d’activité, d’énergie intellectuelle ou morale.

En matière d’immigration au Québec, nous sommes dans un état dangereux d’inertie. Nous persistons à penser que les seuils d’immigration permanente – les fameux chiffres ronds de 20 000 (un certain chroniqueur) à 100 000 (certains regroupements d’employeurs) – représentent le nombre de personnes qui arriveront au Québec chaque année pour rester. Même chose pour les fameux 475 000 projetés par le fédéral.

Pourtant, depuis près de 10 ans, ce n’est plus le cas. Ces chiffres, annoncés par les gouvernements canadien et québécois dans leurs plans pluriannuels et annuels d’immigration, représentent le nombre de personnes qui recevront leur visa de résidence permanente chaque année. Ce n’est plus la même chose.

Pourquoi ? Parce que la vaste majorité des gens (excluant généralement les catégories de réunification familiale et de personnes réfugiées) qui arrivent au Canada et au Québec chaque année sont titulaires d’un permis temporaire pour études ou travail. On ne sait pas combien vont demander éventuellement de rester au Québec, mais, comme du côté canadien, le gouvernement du Québec encourage ces personnes à rester et facilite leur chemin vers la résidence permanente.

La différence est que l’immigration temporaire n’est pas planifiée. Le gouvernement ne fixe pas d’objectifs ou de plafonds au nombre de permis temporaires qui seront délivrés ni de conditions linguistiques.

Le plan d’immigration du Québec pour 2022 vise un volume d’immigration permanente d’entre 49 500 et 52 500 personnes, avec un nombre de 18 000 de plus pour rattraper le manque à gagner de 2020. Selon l’Accord Canada-Québec sur l’immigration, le gouvernement fédéral est tenu de respecter le volume total d’immigration permanente planifié par le Québec. Entre le 1er janvier et le 31 juillet de cette année, presque 32 000 personnes au Québec ont obtenu leur résidence permanente.

On sait qu’au moins 86 % des personnes qui ont été sélectionnées en 2019 comme travailleurs qualifiés étaient déjà au Québec avec un permis temporaire. Les travailleurs qualifiés représentaient 56 % des admissions au 31 juillet 2022. On peut donc présumer que presque la moitié des admissions cette année sont au Québec depuis quelques années.

Pendant ce temps, presque le double, plus de 61 000 personnes sont arrivées au Québec de l’étranger pendant la même période grâce à un permis temporaire (ce chiffre n’inclut pas les demandeurs d’asile).

Ces permis sont délivrés dans le cadre de trois programmes – études internationales, mobilité internationale (PMI) et travailleurs étrangers temporaires (PTET).

Dans les cinq premiers mois de cette année, 16 785 permis d’études avaient déjà été délivrés. N’oublions pas que ce sont les mois de juillet, août et septembre qui sont les plus fastes pour ces permis. Dans le troisième trimestre de l’année dernière, plus de 31 000 jeunes ont obtenu leur permis pour étudier au Québec.

Un méli-mélo de permis

Le PMI est un méli-mélo de permis délivrés pour toutes sortes de raisons. Il offre des permis de travail ouverts qui ne lient pas la personne à un employeur. Il donne tout simplement le droit de travailler – ou pas. Les données du fédéral pour ce programme sont particulièrement incomplètes, mais selon les renseignements publiés, au moins 22 310 personnes ont obtenu un permis ouvert au Québec dans les six premiers mois de cette année (la province de destination est non déclarée pour presque un quart des titulaires canadiens du PMI). La moitié des personnes admises dans ce programme sont les diplômées d’un établissement postsecondaire au Canada et les conjointes ou conjoints des personnes avec un permis de travail spécialisé ou d’études.

Enfin, 22 180 personnes ont reçu un permis dans le cadre du PTET au Québec entre janvier et la fin de juillet, dont 16 805 travailleurs agricoles. Ces permis sont fermés. Les titulaires sont tenus de rester avec l’employeur qui les a embauchés de l’étranger.

Donc, on compte déjà plus de 61 000 personnes de l’étranger qui sont arrivées au Québec juste dans les six premiers mois de cette année qui ne figurent pas dans le plan de seuils d’immigration permanente pour 2022.

Nous avons dans les dernières années changé radicalement notre modèle d’immigration sans le moindre débat sérieux. Au lieu d’une immigration à une étape – la personne immigrante et sa famille obtiennent la résidence permanente avant l’arrivée –, nous avons viré vers une immigration à deux étapes – la personne trouve une façon de venir avec un permis temporaire (souvent pour les études) et reste au Québec pendant plusieurs années, passant d’un permis temporaire à un autre jusqu’à ce qu’elle soit admissible à faire une demande de résidence permanente généralement dans le cadre du Programme de l’expérience québécoise.

Il y a beaucoup de conséquences liées à ce nouveau modèle, certaines potentiellement positives, mais d’autres très néfastes, tant pour les personnes qui se trouvent dans la précarité pendant des années que pour la société québécoise.

C’est de ce virage qu’il faut débattre, pas du nombre de visas de résidence permanente qui seront accordés dans une année. Arrêtons d’alimenter un débat stérile sur les chiffres arbitraires et engageons-nous à entreprendre, après les élections, une réflexion de fond sociétale sur le modèle d’immigration qui servira le mieux le Québec de demain.

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