Au cours d’une campagne électorale, des mots surgissent et collent, des jours après qu’ils ont été lâchés comme de petites bombes. À ce propos, la semaine écoulée a été foisonnante.

Au hasard : les RICHES de GND qui font du kilométrage sur le sentiment trouble que les Québécois ressentent face à l’argent et à la richesse, les INTELLECTUELS de François Legault, eux qui, du haut de leurs salons littéraires, jugent les amateurs de RAM et de troisième lien… Un vieux truc de vieux politicien que d’opposer le vrai monde aux émules d’Ovide Plouffe.

Je me concentrerai toutefois sur les VIOLENTS, fâcheux amalgame du PM entre immigration et violence. La phrase fut prononcée en point de presse à Victoriaville : « Les Québécois sont pacifiques, ils n’aiment pas la chicane. Ils n’aiment pas les extrémistes, ils n’aiment pas la violence, donc, il faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est actuellement. » Ça a ben l’air que les immigrants créent un climat social délétère…

Je suis fille d’immigrant. Mon père est arrivé ici fuyant une Italie pauvre et brisée, espérant trouver mieux. Toute sa vie (il est mort il y a neuf ans), il a travaillé dur. De nuit, de soir, les week-ends, il a tenu à ce que ses filles soient élevées en français. Humble, peu instruit, il a valorisé l’éducation dont il n’avait pas profité. Il ne savait rien des mécanismes subtils de la transgression de classe, mais a tout fait pour que ça fonctionne. Il parlait français avec des mots laborieux, mais était convaincu que le Québec deviendrait un pays.

Les nouvelles vagues d’immigration, souvent plus exotiques, ne sont pas différentes. Elles veulent le meilleur pour leurs enfants, savent que la première génération fera des sacrifices pour que la deuxième s’épanouisse. L’immigration est un deuil, l’intégration : une renaissance.

La violence est dans les silences, les renoncements, la douleur des parents, dans le processus même de l’immigration, une coupure définitive avec le monde d’avant.

La violence, elle est dans cette manière subtile de ne pas vous faire de place quand vous essayez, à tâtons, d’embrasser votre nouvelle culture, entre vos jobs éreintants, vos quarts de travail impossibles, vos logements miteux. Vous ne possédez pas les codes, vous vous faites regarder bizarrement, on vous trouve trop basané, vous mangez des affaires étranges. Les immigrants sacrifient leur vie, essaient que leurs enfants s’émancipent et tentent de les protéger de leur souffrance. Ils sont littéralement fendus en deux : ils veulent léguer leur héritage, mais le rendre plus discret pour affranchir les jeunes.

La violence n’est-elle pas aussi un peu chez les Québécois : un peuple qui s’aime bien peu et qui flirte avec des comportements d’automutilation symboliques ? Un peuple qui doute maladivement, qui se laisse couler par moments, qui néglige sa langue, mais qui exige des immigrants qu’ils l’apprennent en six mois ?

Si le Québec s’aimait un peu mieux, il ne verrait pas l’Autre comme une menace, mais comme un apport. Même à la deuxième génération, cette phrase sur la violence inhérente aux immigrants blesse. Elle suinte l’insinuation. « Des pas propres… »

M Legault l’a-t-il échappé ? Pas tant. Il existe une méfiance envers l’Autre chez une partie de sa base électorale. Mais si c’est une stratégie, elle est étonnante. Puisqu’il sera majoritaire, ce genre de politique de division est inutile. Au contraire, il devrait s’élever au-dessus de la mêlée, faire évoluer la méfiance de plusieurs face aux immigrants, et donner à ces derniers une furieuse envie de notre culture distincte.

Le candidat Legault a surtout empêché qu’on ait une véritable discussion calme et pondérée sur les seuils d’immigration, qui est pourtant nécessaire, ici comme ailleurs. Comment trouver un équilibre entre la culture du pays d’accueil et la bonification que représentent les cultures nouvelles ?

Au Québec : comment négocier cette donne dans un pays qui n’en est pas un, noyé en Amérique du Nord anglophone ? Comment avancer ensemble quand les nouveaux paradigmes idéologiques font du Québec, cette société parmi les plus accueillantes, un peuple colonisateur, voire lu sur Twitter, « un vieux Québec, ranci et révolu » ?

Il y a tout cela dans la phrase malheureuse de François Legault. Tout pour conforter certains électeurs dans leurs préjugés, tout pour braquer les immigrants, en décourager certains, pourtant espérants, enthousiastes et désireux de voir leurs enfants réussir dans un Québec paisible.

Mon père a connu la misère, la violence, a été fait prisonnier de guerre. Il est venu ici pour trouver la paix. Il nous a légué de bonnes valeurs et l’amour de ce pays. Il se voyait comme un modeste, comme un passeur. Ce seraient ses filles qui « réussiraient ». Il n’est plus là pour répondre au PM. Il ne l’aurait pas engueulé ; il n’était pas « violent ». Mais il n’en penserait pas moins…

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