Pour un constitutionnaliste, le décès d’un monarque est un évènement peu important. Comme tout chef d’État ailleurs que dans des régimes présidentiels, son rôle primaire est d’incarner la continuité du gouvernement, peu importe l’équipe ministérielle au pouvoir.

Et, dans le cas de la reine du Canada, cette continuité se manifeste par une succession automatique et étonnamment rapide : par la simple mort de sa mère, Charles est devenu roi. Sa confirmation se fera rapidement. Son couronnement se fera plus tard et concerne plutôt l’aspect symbolique et affectif de la monarchie.

Ce côté affectif m’intéresse pour des raisons personnelles. Afin d’obtenir la nationalité canadienne, j’ai dû promettre fidélité et allégeance à la reine. Après mon mariage, elle était la deuxième femme à qui j’ai étendu cette faveur. Donc, un court moment de réflexion s’impose. Court, parce que je suppose que les engagements dans mon serment sont transférés au successeur.

Mais comme immigrant, j’ai eu d’autres monarques qui m’ont été imposés par un système constitutionnel. Juliana était reine des Pays-Bas quand je suis né. Sa fille Beatrix lui a succédé et maintenant, c’est Willem-Alexander qui est le premier roi du pays depuis le XIXe siècle. Donc, j’ai l’expérience des successions royales et je peux comparer.

N’oublions pas que les Pays-Bas étaient une des premières républiques après l’Antiquité. La croyance protestante dominante y a créé un sens égalitaire profond ; l’histoire du pays y a établi une volonté indépendantiste bien ancrée.

Donc, l’établissement de la monarchie, il y a 200 ans, en réaction aux valeurs démocratiques de la Révolution française, était risqué. Mais la prudence et la sagesse de Juliana et la volonté de fer de Beatrix de moderniser la monarchie dans une société qui subissait des changements spectaculaires ont permis un regain de popularité de la famille d’Orange-Nassau.

En même temps, la fierté nationale reprenait le dessus, en temps de succès économiques et… sportifs : notamment le patinage de vitesse et le soccer ont permis aux Néerlandais de se revêtir en orange et de devenir des républicains royalistes !

Willem-Alexander, plutôt faible en termes de volonté politique et de jugement dans sa vie personnelle, a choisi une épouse charmante. Devenue la reine, Maxima a permis de sceller la popularité de la famille royale. Donc, l’évolution de l’institution de la monarchie a contribué à l’émancipation du pays, devenu décidément moderne.

Cela n’a pas été le cas au Canada. La présence symbolique, parfois chaleureuse, parfois plutôt distante, de la famille royale n’était que ça.

Mis à part quelques formalités, l’intervention du monarque de Londres y reste limitée au strict minimum. L’attachement des Canadiens à la monarchie concerne plutôt la tradition et la mère patrie de ce qui est devenu une minorité des Canadiens.

Il est certain que le style d’Élisabeth II a fait en sorte que la monarchie a suivi l’évolution, très lente, de la société anglaise (et, dans une moindre mesure, de celle des autres pays du Royaume-Uni). Elle a manœuvré avec doigté envers ses premiers ministres successifs, en exerçant les droits que Walter Bagehot attribuait au souverain dans une monarchie constitutionnelle, d’être consulté, d’encourager et d’avertir.

Elle l’a fait avec discrétion, sans faire des vagues, comme il se doit. Elle a choisi de ne pas refuser à Boris Johnson sa demande de prorogation de la Chambre des communes. Une erreur, comme on l’a appris par la suite.

Certains diront que c’est plutôt Charles qui a hérité de nous et que nous n’avons pas eu le choix. Bien sûr, nous avons le choix de choisir une autre institution comme chef d’État, par exemple un gouverneur choisi par le gouvernement en place.

Cela correspond largement à la situation actuelle au Canada, où le gouverneur général exerce en réalité les pouvoirs du monarque. Ou un président désigné avec peu ou pas de pouvoirs politiques, comme en Allemagne. La différence avec une monarchie est limitée, mis à part le soupçon d’odeur colonialiste et élitaire de la dernière, sans oublier le passé esclavagiste qui a sans doute inspiré la Barbade de larguer la monarchie.

Finalement, il y a le système présidentiel qu’on trouve en France et aux États-Unis. Beware what you wish for, you might get a Trump or a Le Pen, surtout avec notre mode d’élection de gouvernements majoritaires qui n’obtiennent qu’une minorité des votes.

En attendant, vive le roi !

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion