Depuis la publication récente par Statistique Canada des données linguistiques du recensement 2021, le déclin du français a beaucoup animé la chronique. Le ton général fut celui d’une légitime inquiétude pour l’avenir de la langue de Molière partout au Canada.

Je m’intéresserai ici à la situation du Québec, tout particulièrement à celle du Grand Montréal. Mon angle sera celui de l’occupation du territoire.

Montréal, sur une longue période

Considérons d’abord l’évolution démolinguistique au sein de la Région métropolitaine de Montréal (RMR) sur 50 ans (1971-2021).

Les années 1970 et suivantes ont été marquées par un titanesque mouvement d’étalement urbain. Quoi de mieux pour l’illustrer que ceci :

– par rapport à 1971, il y a aujourd’hui 367 000 francophones en moins sur l’île de Montréal, contre 1 091 000 en plus dans le reste de la RMR ;

– en 1971, 68 % des francophones de l’actuelle RMR vivaient sur l’île de Montréal. Aujourd’hui, ce taux n’est plus que de 34 %.

Ce qui prouve que le déclin du français à Montréal, de 63 % en 1971 à 47 % en 2021, résulte d’abord et avant tout de l’exode des francophones pour les banlieues périphériques.

L’étalement n’est sûrement pas le fait des anglophones, puisqu’on en compte aujourd’hui près de 210 000 de moins qu’en 1971 dans la RMR. On se rappellera à cet égard que l’élection du premier gouvernement Lévesque, en 1976, a enclenché un fort exode des anglophones montréalais, principalement à destination de Toronto :

– depuis le tournant de l’année 2000, la situation des anglophones s’est relativement stabilisée autour de 12 % de la population de la RMR (18 % à Montréal, 7 % dans les banlieues).

Comme chacun le sait, les immigrants ayant une langue maternelle autre que le français ou l’anglais ont démographiquement pris le relais :

– on en compte aujourd’hui 438 000 de plus à Montréal et, fait tout aussi notable, 312 000 de plus dans ses banlieues ;

– c’est pourquoi ils représentent aujourd’hui 35 % de la population à Montréal, contre 10 % en 1971. Dans le reste de la RMR, le taux est passé de 5 % à 16 %.

Je me limiterai à partir d’ici aux 10 dernières années (2011-2021), mais en élargissant mon propos à l’ensemble des réalités montréalaises et des régions du Québec.

Montréal depuis 10 ans

La première chose à signaler est un très net gradient territorial de la francophonie :

– en 2021, on comptait 47 % de francophones sur l’île de Montréal, 63 % en première couronne, 85 % en seconde couronne, 92 % en troisième couronne.

Entre 2011 et 2021, le français a reculé dans chacun de ces territoires :

– de 1,6 % à Montréal ;

– de façon décroissante en fonction de l’éloignement dans les couronnes : -6,4 % en première couronne, -3,3 % en seconde couronne, -0,8 % en troisième couronne.

Réciproquement, les langues non officielles ont progressé partout :

– de 1,3 % à Montréal ;

– à nouveau, de façon décroissante en fonction de l’éloignement dans les couronnes : +5,9 % en première couronne, +3,4 % en seconde couronne, à peine 0,6 % en troisième couronne.

Le Québec et ses régions depuis 10 ans

Globalement, le français a reculé de près de 2 % au Québec depuis une décennie, passant de 79,6 % à 77,7 %.

À nouveau à cette échelle du Québec entier, le déclin du français, hors île de Montréal, est décroissant en fonction de l’éloignement par rapport à celle-ci :

– moins 3,4 % dans les couronnes de Montréal, -1,5 % dans les régions du centre du Québec, contre -0,2 % dans les régions éloignées ;

– on a vu plus tôt que les couronnes de Montréal se composent de trois sous-ensembles, eux-mêmes marqués par un gradient décroissant ;

– en fait, au-delà du territoire de la RMR-Montréal, le taux de francophonie est partout de 92 % au Québec et le déclin du français y est quasi anecdotique.

Montréal abandonné

Chacun interprète les statistiques sur la langue à sa façon, en choisissant son indicateur favori : langue maternelle, langue parlée à la maison ou au travail, langue d’usage dans l’espace public, taux de bilinguisme, taux de transferts linguistiques, etc. Chacun arrive ainsi à construire sa théorie personnelle sur l’état du français à Montréal et au Québec.

J’ai pour ma part privilégié l’indicateur le plus simple et qui m’apparaît avoir les conséquences les plus durables : langue maternelle, réponse unique. On pourra certes discuter mes chiffres. N’empêche qu’ils illustrent une conclusion qui m’inquiète au plus haut point :

– considérés sous l’angle des tendances lourdes, les francophones semblent opérer une sorte de « repli territorial » les conduisant à graduellement abandonner Montréal en tant que lieu de vie ;

– ce « repli territorial » tend même à gagner l’ensemble de la région métropolitaine de Montréal, comme on le voit déjà clairement à Laval et dans une moindre mesure à Longueuil (MRC).

Ce qui m’amène à cette question, douloureuse à poser : en 2050, le Québec indiscutablement francophone aura-t-il rapetissé à ses régions centrales et éloignées ?

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