L’annonce du décès de Sa Majesté la reine Élisabeth II m’a attristé et rappelé les occasions où j’ai pu la rencontrer alors que j’étais haut-commissaire adjoint à Londres de 2004 à 2008.

Même si elle avait déjà 78 ans quand je l’ai rencontrée pour la première fois lors d’une cérémonie à l'abbaye de Westminster, j’ai découvert son sens du devoir ainsi que l’énergie, le dévouement et l’enthousiasme qu’elle consacrait à ses tâches ; son programme était très chargé pratiquement tous les jours.

La reine aimait beaucoup le Canada et rencontrer des Canadiens. Avant sa venue en visite officielle au Canada en 2005 pour le centenaire de l’entrée de la Saskatchewan et de l’Alberta dans la confédération, le palais de Buckingham nous avait informés qu’elle désirait offrir une réception au Palais pour 300 Canadiens.

Le haut-commissaire, Mel Cappe, et moi avions préparé une liste d’invités pour lui permettre de rencontrer des Canadiens venant de tous les milieux (affaires, arts et culture, étudiants, etc.) et d’un peu partout au pays. La soirée avait été un grand succès et elle avait fait le tour de tous les invités, échangeant avec chacun (le haut-commissaire lui fournissait des détails avant d’arriver à chaque groupe).

C’était clair qu’elle s’était préparée avec soin et qu’elle était très au courant de la situation politique au Canada.

Elle trouvait quelque chose de pertinent à soulever avec chacun et s’intéressait à leur parcours ainsi qu’à leur patelin d’origine.

Une reine capable d’humour

J’ai eu aussi l’occasion de constater que la reine aimait rire à l’occasion et qu’elle ne se prenait pas toujours au sérieux. Au mois d’août 2005, peu de temps après que le premier ministre Paul Martin eut annoncé que Mme Michaëlle Jean serait la prochaine gouverneure générale, les médias avaient commencé à s'interroger sur ses allégeances fédéralistes ainsi que celles de son mari, Jean-Daniel Lafond.

J’avais reçu un appel d’Ottawa me demandant d’organiser une rencontre urgente avec Sa Majesté pour calmer les esprits. J’avais répondu que cela pourrait être difficile, car elle était en vacances à son château de Balmoral.

J’ai quand même joint Sir Robin Janvrin, le secrétaire particulier de la reine, pour savoir si cette dernière accepterait de la rencontrer. Il me dit qu’il allait en parler à Sa Majesté et me rappeler le lendemain. La reine, qui suivait l’actualité canadienne de près, comprit très bien la nécessité du voyage et accepta de recevoir Mme Jean quelques jours plus tard. Sir Robin me précisa que la rencontre serait informelle.

Après un programme d’une journée à Londres que Mme Jean visitait pour la première fois, je l’amenai à l’aéroport où le groupe prit l’avion pour l’Écosse où les attendaient les gens du palais. Les photos prises à son arrivée à Balmoral furent rapidement diffusées à la presse canadienne ce qui permit de mettre fin à la controverse. À son retour à Londres le lendemain, Mme Jean flottait encore sur un petit nuage.

Elle me révéla que la reine et le prince Philip, en compagnie du prince Edward et de son épouse Sophie, les avaient reçus chaleureusement et que la conversation s’était déroulée entièrement en français autour de l’apéritif.

La reine parlait un excellent français ; d’ailleurs les menus au palais de Buckingham sont uniquement en français. La reine lui posa beaucoup de questions et était très intéressée par sa vie.

Puis, la reine se tourna vers son mari et lui dit : « Philip, c’est le temps d'allumer le barbecue. » Elle-même se dirigea vers la cuisine pour préparer le repas qui s’avéra délicieux. Le thé fut ensuite servi au salon avec les digestifs puis la reine se leva pour aller faire la vaisselle, suivie de Sophie.

Mme Jean n’en croyait pas ses yeux : la reine faisait la vaisselle elle-même ! Elle se leva donc pour donner un coup de main. J’ai demandé à M. Lafond comment il avait réagi. Il me dit : « J’étais estomaqué. J’ai regardé Philip qui restait assis, même chose pour Edward, j’ai donc décidé de rester avec les hommes au salon. » Quand j’ai reparlé avec Sir Robin après la visite pour le remercier, je lui ai dit que j’avais finalement compris ce qu’il voulait dire par « visite informelle ».

Il m’expliqua que les vacances à Balmoral étaient le seul moment de l’année où la reine pouvait mener une vie normale, sans serviteur, et faire la cuisine elle-même, par exemple.

La reine prenait son rôle au sérieux et a consacré toute sa vie adulte à ses fonctions officielles. Malgré ses lourdes charges protocolaires, je l’ai toujours vue de bonne humeur et intéressée par les gens qu’elle rencontrait.

L’un des bénéfices d’une affectation à Londres fut de me donner la chance de la rencontrer à quelques reprises et de voir que c’était une vraie professionnelle, mais aussi une personne normale. J’en garderai un excellent souvenir.

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