Les autrices s’adressent aux chefs des partis politiques québécois.

Tous les jours, une femme qui prend la parole sur la place publique en paie le prix. Insultes, attaques au corps, harcèlement, menaces de viol, menaces de mort sont désormais le corollaire inévitable de notre droit le plus fondamental à l’expression.

Vous croyez toujours que les femmes ne sont pas plus ciblées que les hommes ? Elles sont 27 fois plus susceptibles que les hommes d’être harcelées en ligne, selon la Commission Broadband (ONU) pour le développement numérique. Ces actes restent pour la plupart impunis et ont de lourdes conséquences sur les victimes : anxiété, isolement, dépression, pensées suicidaires, etc. La haine des femmes en ligne est destructrice. Elle n’épargne personne, surtout pas celles qui osent prendre part aux débats politiques dans l’arène publique.

Dans les derniers jours, Chrystia Freeland, vice-première ministre du Canada, et Marwah Rizky, députée de la circonscription de Saint-Laurent, ont été la cible de menaces lourdes et troublantes. Ces cyberviolences ont des conséquences graves sur la santé des femmes : au mois d’août, Lisa-Maria Kellermayr, médecin de 36 ans, a mis fin à ses jours à la suite d’une campagne de cyberharcèlement. Cette dernière avait demandé de l’aide : on a ignoré son appel. Doit-on aussi rappeler que la politicienne britannique Jo Cox a été assassinée à la suite d’un épisode macabre de menaces en ligne ? Il est temps de prendre cet enjeu pour ce qu’il est : une atteinte à l’intégrité physique et morale de citoyennes et une menace à la démocratie. C’est assez.

Quand allons-nous comprendre que ces cyberviolences engendrent des dommages et de la violence dans le monde réel ?

Dans les sept dernières années, pour la réalisation de notre film Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique1, nous avons observé une montée troublante de la misogynie sur les réseaux sociaux. Nous avons suivi avec nos caméras des femmes courageuses, à la parole forte, qu’on veut faire taire. La spécialiste Donna Zuckerberg nous l’a confirmé : « Les réseaux sociaux ont amplifié la misogynie, lui donnant un niveau de violence inégalé. »

Les conséquences de cette misogynie en ligne ? Une idéologie antiféministe et sexiste gagne du terrain. Mais pire encore, de plus en plus de femmes décident de quitter la sphère publique, n’iront pas en politique, ne seront pas journalistes, parce qu’elles savent que cette violence « vient avec le territoire ».

Allons-nous accepter ce recul des droits des femmes ? Quand allons-nous comprendre que l’enjeu est démocratique ? La liberté d’expression de citoyennes est piétinée par une haine décomplexée. Il faut agir.

Une campagne électorale qui a oublié les femmes

Les cinq plateformes électorales sont muettes sur les enjeux des droits des femmes et sur le fléau des cyberviolences. Nous implorons les futurs candidats au poste de premier ministre, François Legault, Dominique Anglade, Gabriel Nadeau-Dubois, Paul St-Pierre Plamondon et Éric Duhaime, de prendre position et de s’engager à contrer ce problème endémique en luttant contre l’impunité des agresseurs et en exigeant du gouvernement canadien qu’il se tienne debout face aux GAFAM (Google, Apple, Facebook [Meta], Amazon et Microsoft).

Revendications

La liberté de parole des femmes est un enjeu démocratique fondamental. Nous formulons ainsi des revendications claires aux chefs de partis politiques provinciaux. Nous souhaitons être entendues afin de mettre fin au statu quo.

Considérant que la formation initiale des recrues des services de police ne traite pas des cyberviolences et du cyberharcèlement, que les dossiers de ce genre sont traités par des enquêteurs et enquêtrices, qu’il faut un minimum de cinq ans d’ancienneté pour participer au processus menant à ce grade et qu’il n’existe pas de formation continue produite à l’interne sur ces sujets, nous demandons au gouvernement du Québec qu’il s’engage à intégrer une formation obligatoire aux policiers et policières sur les cyberviolences faites aux femmes.

Considérant que la complaisance et le manque d’encadrement de nos gouvernements face à Facebook, Twitter, YouTube et Instagram laissent libre cours à la montée de la misogynie et à la cyberviolence faite aux femmes, nous devons obliger les géants du web, qui carburent à la controverse et la haine, à faire de leurs plateformes des endroits sécuritaires où les femmes peuvent s’exprimer librement. Inspirées par le Conseil des ministres allemand, nous exigeons du gouvernement du Québec qu’il fasse pression sur le gouvernement fédéral afin que celui-ci adopte une loi visant à forcer les réseaux sociaux à supprimer les contenus « haineux » et « délictueux » sous peine d’une amende sévère allant jusqu’à 50 millions de dollars (cette sanction est la même que celle de la Loi allemande sur les contenus haineux).

Quand les droits des femmes sont menacés, il faut se lever.

1. Le film est présentement à l’affiche dans les cinémas au Québec.

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