C’est déjà presque une vieille nouvelle, que ce coup de massue de Statistique Canada il y a deux semaines, avec ses données sur un déclin du français beaucoup plus rapide que prévu.

Des baisses de 2,4 % à Laval et de 3 % à Montréal en cinq ans à peine sont objectivement énormes, d’autant que tout indique que cela va s’accélérer si on est incapable de donner un coup de barre.

Lamentations impuissantes

Étant donné qu’on avait affaire aux chiffres difficiles à contester d’un organisme fédéral, personne n’a nié sur le coup le caractère inquiétant de l’affaire. On a immédiatement eu droit, bien sûr, aux déclarations creuses habituelles de Justin Trudeau, suivi d’un François Legault se disant lui aussi inquiet.

Le premier faisait semblant d’oublier qu’il avait sacrifié le français sur l’autel de la diversité en nommant le premier chef d’État canadien des temps modernes qui ne parle pas notre langue, alors que le premier ministre québécois vient de refuser de donner un moteur à sa loi sur le français en ne l’appliquant pas aux cégeps, comme l’opinion publique francophone le lui demandait largement.

Il y a eu ensuite – on est au Québec ! – les lamentations victimaires et impuissantes de tout un chacun. Dans une société exceptionnellement molle où on a tendance à tout relativiser pour préserver sa tranquillité, la tentation est maintenant grande de passer à autre chose de moins déprimant, coincés que nous sommes entre deux groupes.

Il y a tout d’abord les semeurs de désespoir, souvent des souverainistes désenchantés qui se sont convaincus qu’un Québec non indépendant ne mérite pas de vivre ; puis, les multiculturalistes tous azimuts pour qui la question du français est dépassée face aux merveilleux défis d’une diversité de plus en plus anglophone.

Ce qui nous amène au point positif – en théorie – dans cette affaire. Les Québécois ont été informés des données de Statistique Canada juste avant une campagne électorale qui devrait être l’occasion de débattre des mesures à prendre pour maintenir la place du français dans notre société et éviter la folklorisation annoncée de notre culture.

Le problème, c’est que cela dérange les plans de match scénarisés à l’avance des partis politiques dans cette campagne ; les slogans et les promesses dans lesquels le français ne tient pas une grande place sont depuis longtemps ficelés, les médias restant comme d’habitude à la remorque.

Confort et indifférence

Il y a tellement de choses plus concrètes dont il faut parler ! L’inflation bien sûr, la santé, l’environnement, la violence armée, le logement…

La réalité est qu’aucun parti n’a vraiment envie de parler de langue, sauf le Parti québécois, un commentateur allant cette semaine jusqu’à s’étonner que Paul St-Pierre-Plamondon ait commencé sa campagne avec ce thème.

Comment ne pas s’inquiéter dans ce contexte que soit menacée de disparition la formation politique faisant le plus pression sur notre système politico-médiatique en faveur du français ?

C’est à se demander si, entre deux bonbons électoraux pour des Québécois baignant dans le confort et l’indifférence, il sera question dans cette campagne des mesures à prendre pour contrer la chute rapide du français.

On a l’impression d’assister à une version québécoise du film Don’t Look Up (Déni cosmique), où deux scientifiques joués par Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence essayaient désespérément d’alerter le monde sur la collision annoncée d’une comète avec la Terre, pendant que le système politico-médiatique, tout en ne contestant pas leurs affirmations, continuait joyeusement son petit bonhomme de chemin jusqu’à la catastrophe finale…

Éric Duhaime semble trop occupé ces temps-ci à courtiser les Anglo-Québécois pour être capable de voir que ces derniers, tout particulièrement les nouveaux arrivants et les jeunes, parlent moins le français qu’avant.

Dans le dossier de l’immigration, où, travailleurs temporaires et chemin Roxham aidant, le Québec est en train de perdre le contrôle, Québec solidaire a-t-il autre chose à proposer que ses surréalistes bons culturels aux nouveaux arrivants et des carrefours locaux pour faciliter leur « inclusion » ?

Dominique Anglade, cheffe de ce Parti libéral qui a fait la Révolution tranquille ayant accouché du Québec moderne, ne fera-t-elle que défendre son électorat anglo-québécois ?

Responsabilité du premier ministre

À quoi sert, surtout, de bénéficier d’institutions politiques assurant aux Québécois des gouvernements forts, qui disposent des moyens d’agir, si celui qui a toutes les chances d’être reconduit au poste de premier ministre se révèle incapable de donner le vigoureux coup de barre dont nous avons besoin de toute urgence sur le plan linguistique ?

François Legault se résoudra-t-il enfin à notamment appliquer la loi 101 aux cégeps, une des mesures structurantes à sa disposition pour freiner la valorisation de plus en plus excessive de l’anglais chez les jeunes francophones ?

Les chiffres de Statistique Canada constituent un signal d’alarme clair. Il faut réagir maintenant, pendant qu’il est encore temps. Car il est encore temps.

Demain, ce sera trop tard.

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