L’auteur s’adresse à son neveu, maintenant en âge de voter aux élections provinciales

Salut Léo, à 19 ans, tu vas voter pour la première fois au provincial.

Je prends l’initiative de te donner quelques pointeurs, comme tu as tendance à consulter ton vieil oncle sur les questions importantes comme le repêchage, les chances que l’Océanic fasse les séries et les ambitions de Vladimir Poutine. Je dois te dire que d’assumer ses convictions dans l’isoloir, c’est un peu plus compliqué que de piger pour le pool de hockey.

D’abord, sache que tu vas voter pour un seul candidat qui représente notre circonscription, une des 125 de la province. Ici dans Brome-Missisquoi, tu devras entre autres choisir entre Isabelle Charest (la ministre des Sports) et Alexandre Legault (QS) dont tu avais piqué la pancarte (chut !) il y a quatre ans. La liste à cocher sera plus longue, car il y a le PQ, le PLQ et le PCC.

Un seul de ceux-ci va gagner selon le nombre de votes amassés dans la circonscription. Comme au hockey, qu’il gagne 8-0 ou en 3e prolongation, c’est « toute ou pantoute », celui qui remporte la victoire va nous représenter à l’Assemblée nationale. Quand toutes les circonscriptions auront élu leur candidat, c’est le parti qui aura le plus de sièges qui formera le gouvernement et qui sélectionnera ses ministres entre ceux de son parti qui auront été élus.

J’imagine que tu commences à voir quelques failles :

— peu importe si un parti perd de justesse dans plusieurs circonscriptions, ses votes ne se refléteront pas dans l’exercice du pouvoir exécutif ;

— il est possible (ça arrive presque toujours) qu’au final, le parti qui forme le gouvernement ne soit pas le choix de la majorité ; pire, il peut avoir moins de votes au total et tout de même former le gouvernement.

Ligne de parti

Imagine que pour organiser une grande réunion de famille, ta sœur, ton père et moi présentions des menus (végétarien, carnivore, flexitarien) et qu’on passe au vote pour choisir ce qu’on va manger. Ta sœur l’emporte. Si on utilise notre mode de scrutin québécois, ta sœur va imposer le tofu et les légumineuses à tous.

Tu te dis, comme moi, que le repas devrait plutôt refléter nos préférences communes et qu’on devrait cuisiner les plats au pourcentage des préférences exprimées. Bien sûr. Mais sache que c’est encore pire dans notre système politique, car il y a la ligne de parti à respecter. Imagine en plus qu’en gagnant le vote végétarien, ta sœur gagnerait du même coup le choix musical pour toute la soirée, le thème des déguisements, le jour et l’heure du party. C’est encore plus nul, n’est-ce pas ?

Ainsi donc, malgré ta pancarte volée, tu as peut-être envie de voter pour Isabelle Charest. Comme ministre, elle a négocié habilement avec la LHJMQ contre les bagarres, elle est très présente dans le coin, c’est honorable. Mais la ligne de parti fait qu’en votant pour elle, tu votes aussi pour le projet ridicule du troisième lien (elle est automatiquement d’accord), tu votes pour ne pas reconnaître le racisme systémique (elle ne peut pas le reconnaître, malgré l’évidence), tu votes pour ignorer le destin des caribous forestiers, tu cautionnes le ministre de la pollution et des compagnies forestières, etc.

C’est poche, on l’aime bien, Isabelle, mais elle est ligotée aux positions et décisions de son parti…

Tu te dis alors que tu pourrais voter pour Alexandre de QS, ce que je t’avoue considérer fortement, moi le vieux libéral centre droit fédéraliste qui avait pourtant voté pour le Oui en 1995. Alexandre, le covoiturage spontané dans la région, c’est lui. Il est très allumé pour l’environnement, le communautaire et l’avenir des jeunes… Imaginons un instant que ce vote ne soit pas perdu et qu’une grande vague place QS au pouvoir. La planète va mieux respirer, les Québécois les plus mal pris vont mieux s’en tirer, les enfants auront tous une place en CPE, mais on va devoir se passer d’Eric Girard le grand comptable, on va probablement s’endetter fortement, Christian Dubé ne pourra terminer son sudoku avec le système de santé, on repart sur des bases totalement différentes pour quantité de dossiers qui n’ont jamais abouti depuis 30 ans. Tu peux faire la même réflexion avec le PLQ, le PQ et le PC.

Permets-moi de rêver d’une province, d’un pays, où chaque vote compte et que 15 % de solidaires idéalistes, 12 % de conservateurs étroits, 18 % de libéraux ringards, 40 % de centristes identitaires et 15 % de souverainistes nostalgiques (selon le vote populaire) doivent former un gouvernement en contrebalançant les pouvoirs et les idées à la hauteur de ce que les citoyens ont choisi, pigeant les ministres au prorata du vote et devant s’entendre pour gouverner de façon sensée et équilibrée.

On ne fera pas les séries, mon Léo, on ne gagnera pas nos élections non plus, quel que soit le résultat. Je ne t’ai pas beaucoup aidé, mais fais quand même ce geste démocratique le 3 octobre : c’est un peu désolant de voter pour si peu d’impact, mais tu pourras dire que tu as participé à la démocratie lorsqu’elle existait encore un peu en 2022. Et ne cesse jamais de rêver…

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