Vendredi, à l’émission Y a du monde à messe, le président de l’Association québécoise de la quincaillerie a eu, à propos de nos habitudes d’achat d’outils, cette réflexion – en fait, de vieilles paroles de sagesse ancestrale héritées de sa grand-mère : « On est trop pauvres pour acheter de la mauvaise qualité. »

Cette citation m’a marquée. On l’entendait, il y a des décennies, dans un Québec encore frappé par une pauvreté matérielle historique, dont notre société moderne porte encore les stigmates.

Cette maxime dit que si tu n’as pas les moyens de la qualité, tu achètes de la scrap que tu es condamné à remplacer sans cesse, et qu’il vaut mieux s’offrir du bon et du durable, particulièrement si on est serré dans son budget. Ça semble contre-intuitif, mais, dans l’absolu, ce n’est pas faux. Mais malheureusement, on consomme, on jette, on rachète et on recommence. Ces temps-ci, la détresse économique d’une grande part de la population saute aux yeux. Le Dollarama est un paradis fréquenté sans partage.

Dimanche, cette petite phrase sibylline m’habitait encore. Cette pauvreté qui oblige à des choix qui n’en sont pas se limite-t-elle à la vie économique ? Ne sommes-nous pauvres que matériellement ? Quelles traces laisse cette pauvreté dans nos inconscients ?

En ce début de campagne électorale, un parallèle a surgi. On est trop pauvres pour acheter de la mauvaise qualité. Et si notre vieille pauvreté historique avait aussi, en partie, des répercussions sur notre vie sociale, démocratique, sur la manière dont vous vivons des élections ?

La campagne a été lancée dimanche. Déjà, les experts et les sondeurs (souvent les mêmes) prévoient un raz-de-marée caquiste. Bien sûr, il pourrait y avoir des surprises, des sursauts, des moments épiques et inattendus, mais au final, il semble clair que le bleu pâle triomphera. En grande partie parce que les oppositions sont faibles et en redéfinition. Mais beaucoup parce que la Coalition avenir Québec (CAQ) s’arroge le discours des vraies affaires, que la personnalité ronde et sympathique de M. Legault, assurément plus complexe que lorsqu’il s’interroge sur TikTok sur la vraie nature du fromage en crotte, réjouit le Québec. Même si la CAQ tourne les coins ronds en éducation, en santé, en matière d’environnement. « Continuons » est le slogan du parti, qui continuera à faire dans le rassurant, le populisme, les réponses simples à des enjeux complexes.

Pour revenir à la métaphore de l’outil, on peut éventuellement trouver de la qualité aux propositions du Parti québécois ou de Québec solidaire, pour peu que l’on partage leur vision et leurs valeurs particulières. Leurs solutions se démarquent et sont, à leur façon, plus en phase avec des problèmes qui dépassent la politique à court terme. Mais ces deux partis sont très loin de l’antichambre du pouvoir. Alors, on se tourne vers l’outil disponible le plus populaire…

Oui, malgré son allant et ses beaux habits à la fine pointe de la mode, le Québec a encore, comme un jupon qui dépasse, des relents et des réflexes d’ancien pauvre. Il est locataire de son pays, vit dans un appartement vaguement moderne, meublé d’appareils dont l’obsolescence est programmée. Son chauffe-eau est trop vieux. Il a du talent, de la débrouillardise, mais aussi une indolence certaine quant à sa vraie nature. Il traîne son histoire comme un boulet et est familier avec l’approximation. Alors, quand un politicien aimé émaille son discours de racoleurs « FIERTÉ ! », il touche une corde sensible chez nous.

On ne dira jamais assez la piètre qualité du discours politique en général, sans rêves ni projets. On ne mesure pas pleinement l’ampleur de la démission collective de l’électorat, qui va de moins en moins voter.

On accepte de vivre avec un système électoral émoussé qui peine à représenter équitablement les options en présence. On laisse l’outil démocratique se dégrader et rouiller, avec pour conséquences un cynisme croissant et une ruine du sens collectif. On botche.

Pendant 36 jours, de partout, les promesses pleuvront sur nous. Espérons qu’elles soient porteuses de sincères engagements, d’une réelle volonté de dépassement. Mais le risque existe, inéluctable, que nous nous rabattions sur un programme de qualité ordinaire en nous disant que, bof, on s’en offrira un nouveau dans quatre ans…

Nous votons comme nous achetons. Le président de l’Association québécoise de la quincaillerie disait vrai.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion