Depuis 2013, les droits de scolarité sont indexés en fonction du revenu disponible des ménages par habitant. La ministre Danielle McCann a été forcée d’intervenir pour éviter la majoration de 8,2 % que l’application de ce principe aurait entraînée cette année et limiter la hausse à 2,4 %.

Plutôt que de poursuivre sur la voie de l’augmentation soutenue des droits de scolarité, le Québec devrait imiter l’Allemagne, qui a aboli les droits de scolarité dans les dernières années, ainsi que les autres pays qui pratiquent la gratuité scolaire. Dans la plus récente publication1 de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), nous montrons qu’instaurer une telle mesure au Québec coûterait seulement 1,2 milliard de dollars, soit moins de 0,9 % des dépenses totales dans le budget du Québec.

De la gratuité au modèle néolibéral de l’endettement étudiant

La gratuité scolaire, souvent présentée comme une lubie, est en fait la norme dans plusieurs pays sociaux-démocrates depuis le siècle dernier et en vigueur aujourd’hui, notamment en Allemagne, en France, en Finlande, en Norvège, en Suède et au Danemark. Dans ce dernier pays, les étudiants reçoivent même une forme de salariat étudiant, ce qui les met à l’abri de la précarité économique.

C’est la révolution néolibérale, initiée dans les années 1970-1980, qui a conduit certains pays à abandonner la gratuité, à réduire la part du financement public et à augmenter le fardeau des étudiants et des ménages.

Par exemple, le Royaume-Uni, qui a pratiqué la gratuité jusqu’en 1998, fait désormais partie du club des pays où les droits de scolarité sont les plus élevés au monde avec, entre autres, les États-Unis, le Canada et l’Australie.

Le modèle néolibéral n’est pas seulement fondé sur des frais élevés, mais aussi sur un endettement étudiant important. Aux États-Unis, par exemple, la dette étudiante se chiffre dans les billions, et le président Biden est forcé d’intervenir pour tenter de juguler la situation. Or, des études montrent que des droits de scolarité élevés et la perspective de s’endetter exercent un effet dit « d’aversion », spécialement chez les moins nantis, les détournant des études supérieures. Comme la mise en place de programmes de prêts n’altère pas l’effet de cette barrière à l’entrée, ce modèle nuit à l’accessibilité aux études.

Les pressions sont fortes pour que les pays qui pratiquent la gratuité scolaire imitent à leur tour les pays anglo-saxons. On pense par exemple à la France, où Emmanuel Macron a tenté de défendre des hausses de droits de scolarité, ce qui a suscité un tollé dans l’opinion publique. L’exemple de l’Allemagne est également intéressant : plusieurs États fédérés ont procédé à des hausses au tournant de 2010 avant de rétropédaler, estimant que la tradition de gratuité scolaire allemande valait mieux que le modèle anglo-saxon impliquant des frais élevés.

Université et décroissance

Si l’université marchandisée cherche à maximiser ses revenus en augmentant les droits de scolarité, c’est aussi parce qu’elle est enrôlée dans la logique de croissance maximale qui caractérise le mode de développement de nos sociétés. Elle est appelée à servir de catalyseur de l’accélération et de l’innovation technico-économique en plus de générer bon nombre d’activités polluantes (utilisation d’ordinateurs, voyages en avion pour des conférences internationales, etc.).

Afin de surmonter la crise écologique, nos sociétés n’auront pas le choix d’abandonner la croissance infinie de la production et de la technologie comme leitmotiv de la vie collective et d’assigner des limites réfléchies à ces activités. Pour ce faire, il faudra que l’université sorte elle aussi de la logique du « toujours plus » et qu’elle se questionne sur les finalités qu’elle poursuit, sur les ressources qu’elle mobilise, sur le type de recherche qu’elle engage. À rebours de la verticalité gestionnaire propre à la gouvernance néolibérale, ces limites devront être discutées démocratiquement, dans les universités aussi bien que dans la société en général. C’est ainsi que décroissance et démocratie se révèlent deux idées essentielles à associer à l’instauration de la gratuité scolaire. La campagne électorale à venir représente une occasion intéressante pour les partis de proposer des politiques qui permettraient de bâtir un système d’éducation gratuit, démocratique et décroissanciste.

1. Consultez la publication de l’IRIS QU’EN PENSEZ-VOUS ? Exprimez votre opinion Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion