Une dame tente d’entretenir une conversation avec un vieux guide de haute montagne. —… Où en étais-je ? … Ah ! Oui ! …, je me suis souvent posé cette question : « Qu’y a-t-il de plus beau en haute montagne ? » —… Le silence, madame… — Tiré de Samivel, Sous l’œil des choucas, Delagrave, 1979

Cet été, loin de nos vies confinées, le plaisir de nous réconcilier avec nos traditions de vacances est indéniable. Que c’est bon de retrouver nos habitudes, quand, année après année, on retournait dans un endroit que l’on avait fait nôtre. Pour moi, c’est la montagne. D’aussi loin que je me souvienne, c’est avec une grande loyauté que ma famille quittait Montréal aux vacances de la construction pour prendre un peu d’altitude.

Jeune adulte, j’ai boudé cette coutume, trop occupée que j’étais à affirmer mon indépendance, à voyager, à voir du pays. J’ai renoué avec cette tradition à la naissance de ma propre famille. L’envie de faire connaître cet amour de la montagne à mes enfants avait surpassé l’attrait de la nouveauté. J’avais ce besoin du partage, du désir de faire en sorte qu’ils les vivent, ces montagnes, comme je les avais vécues.

Il y a de ces lieux qui nous comblent juste à savoir qu’ils existent. La façon dont ils conservent la mémoire de nous-mêmes, un petit bout de notre histoire. Des lieux où il n’y a rien d’autre à faire que d’exister. Et qui nous nourrissent par le simple fait d’y être.

C’est peut-être ça que m’inspire la montagne. Elle est. Elle incarne. Elle me force à la contemplation.

Pour beaucoup, la montagne est active. Elle est synonyme de randonnées, d’efforts, de sommets, de dépassement de soi. Pour moi, la montagne est avant tout contemplative. Quand je me retrouve devant elle, je n’ai plus besoin d’ambitionner à quoi que ce soit. Je n’ai plus à agir ou à accomplir. Elle me rappelle la naïveté de notre existence.

Elle me ramène à un bien-être simple et profond. La complexité de la vie disparaît, l’humilité s’impose et la montagne m’entraîne naturellement à l’introspection.

Son impassibilité détonne face à notre agitation intérieure, alors que dans nos vies, tout bouge, tout défile à vive allure. Ici, en montagne, c’est le répit. Le monde s’arrête, il devient immobile. Et pourtant, les montagnes peuvent offrir, à ceux qui lèvent les yeux, une telle diversité de paysages changeants… En un instant, la lumière peut être bouleversée par un nuage, par les reflets du soleil, par des ombres qui s’allongent.

J’aime par-dessus tout quand le jour se lève tranquillement derrière les cimes, alors encore plongées dans l’ombre. Ces matins dont j’ai toujours l’impression qu’ils sont uniques et ce ciel qui bleuit alors que le soleil apparaît.

J’aime aussi quand les nuages se forment dans le bas de la vallée et nous donnent l’impression d’être au-dessus d’un monde. J’aime ces soirs d’orage quand on sent toute cette force, ces intempéries qui ne font que passer.

J’aime tout autant ces fins de journée quand la lumière déclinante vient colorer le paysage. Du blanc, au bleu, au rose ; toutes ces nuances qui annoncent souvent le beau temps du lendemain… J’aime la nuit quand les étoiles nous permettent de deviner ces masses immobiles endormies.

Admirer la montagne, c’est appartenir au monde d’en haut pour un court instant, comme si nous étions déconnectés du monde des mortels, comme si nous avions accès, l’espace d’un instant, à un petit bout de paradis. Parce que c’est ça, pour moi, la montagne, un petit bout de paradis…

Et pourtant, il n’y a pas plus terrestre que la montagne. Des prés, de grands mélèzes, des petits ruisseaux. Plus haut, ces grandes étendues sans arbres, ces grands flancs rocailleux, ces amas de pierres, de petits sentiers sinueux… Une simplicité désarmante, mais qui dessine une immensité hors du temps.

La montagne me ramène à l’état brut des choses. La plénitude. La présence. La force. La montagne me remplit. Autant je suis amoureuse de l’urbanité, autant la montagne me procure un calme intérieur. Alors que la montagne pourrait être perçue comme une barrière, un obstacle, elle est pour moi ouverture, espace de liberté.

Je ne sais pas si, jeune, la montagne me parlait autant. Est-ce que j’en ressentais les bienfaits sans en comprendre la profondeur ? Tenter de décrire ce sentiment d’euphorie et de grandeur que me procurent ces paysages me fait réaliser à quel point la montagne me nourrit.

Et je sais, sans l’ombre d’un doute, qu’elle m’apaise. Elle me donne l’impression de veiller sur moi et, en ces temps troubles qui nous font naviguer entre pandémie, guerre, inflation, polarisation et crise climatique, la montagne me ramène à l’essentiel.

Dans quelques jours, nous retournerons tous à nos vies effrénées : le boulot, la rentrée, les rencontres, les activités parascolaires, les soirées d’affaires. Ce rythme intense, ce tourbillon incessant. J’adore cette frénésie, je l’avoue. Mais je me promets de garder en moi un peu de ce silence, de cette immobilité, de cette quiétude qui m’ont habitée pendant quelques semaines cet été.

Je me promets de ne pas oublier la sagesse de la montagne.

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