Les facteurs de risque criminogènes des individus reconnus non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux doivent être abordés autrement pour assurer la sécurité du public et promouvoir la réinsertion sociale

Le triple homicide survenu à Montréal, dont l’auteur aurait été suivi par la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM), est un événement tragique. Au lendemain d’un tel drame, de nombreuses questions ont émergé, notamment les suivantes : comment faire pour prévenir qu’un autre « patient échappe au système » ? Et, au fait, qu’en est-il de ce fameux « système » ?

Le Code criminel canadien a établi qu’un individu, en raison d’un trouble mental le privant de sa capacité à distinguer le bien du mal ou à apprécier la nature ou les conséquences de ses actes, devait être reconnu non criminellement responsable. Bien que de telles situations surviennent, généralement lors d’épisodes psychotiques sévères, elles sont rares, et encore plus rares sont celles où seule la maladie explique la dynamique délictuelle.

Le mandat de la CETM est de protéger le public, tout en veillant à la réinsertion sociale des individus reconnus non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux (NCRTM). Elle traite de nombreux dossiers annuellement, issus de délits allant d’un vol de sirop pour la toux jusqu’au meurtre. À chaque dossier, elle doit déterminer si la personne pose un « risque significatif pour la sécurité du public ». Cette notion demeure une zone grise pour les psychiatres, qui doivent formuler une recommandation basée sur leur propre évaluation de la dangerosité.

Les connaissances ont évolué dans les dernières années, et tendent à démontrer que la relation entre troubles mentaux et violence est faible.

Comme la grande majorité des individus souffrant de troubles psychotiques ne sont pas violents, entendre les politiciens clamer haut et fort qu’il faut « investir en santé mentale » lorsque survient un crime odieux renforce la stigmatisation associée au diagnostic de schizophrénie.

Les troubles mentaux graves ne sont pas considérés comme parmi les principaux facteurs de risque criminogènes. Ces facteurs de risque — antécédents de violence, cognition antisociale, pairs antisociaux, faible niveau occupationnel, problèmes familiaux, toxicomanie – sont souvent la résultante des inégalités sociales de santé, et se retrouvent chez la clientèle judiciarisée, atteinte de troubles mentaux, ou pas. Pourtant, la prise en charge psychiatrique classique demeure au cœur des interventions préconisées par la CETM. Il est vrai que l’on peut traiter involontairement des individus avec une médication antipsychotique, si ces derniers sont jugés inaptes à accepter ou refuser des soins.

Toutefois, on ne peut pas contraindre un individu souffrant d’un trouble de la personnalité ou de toxicomanie à s’engager dans une thérapie, et pourtant, ces aspects sont déterminants pour améliorer le pronostic.

Lorsqu’un patient est reconnu NCRTM, il en est de la responsabilité des établissements de santé de protéger le public tout en favorisant la réinsertion sociale de ce dernier. Toutefois, si de plus en plus d’études mettent de l’avant le rôle de la colère, de l’impulsivité et de la misère sociale plutôt que de la symptomatologie psychotique pour expliquer la majorité des comportements violents qui surviennent (rarement) parmi les patients souffrant de troubles mentaux, nous devons nous demander bien humblement si nous disposons des bons outils thérapeutiques.

Les services en psychiatrie légale sont inégalement distribués à travers les régions, et les individus NCRTM présentant la triade psychose-toxicomanie-trouble de personnalité représentent un défi de taille. Si nous parvenons à traiter la psychose, que faire lorsque le patient refuse de collaborer aux interventions ciblant les autres problématiques ?

En milieu hospitalier, les équipes doivent parfois gérer d’importants troubles du comportement, au péril de leur sécurité et de celles des autres patients. Certains individus réfractaires peuvent rester détenus plusieurs années, même pour des délits mineurs (menaces, méfaits, etc.), parce que les équipes de suivi intensif dans le milieu (SIM) les refusent, jugeant, avec raison, le risque trop élevé. Cela mine grandement leur potentiel de réinsertion sociale. Ils peuvent aussi être libérés dans la collectivité, sans aucun suivi répondant à leurs besoins complexes, aussi paradoxal que cela puisse paraître.

Plusieurs modèles de SIM pour la clientèle médico-légale existent au Canada et aux États-Unis, et adressent les facteurs de risque criminogènes (cognitions antisociales, oisiveté, toxicomanie). Ces modèles devraient être implantés au Québec, à petite échelle d’abord, et s’ajouter à l’offre de services résidentiels déjà en place. Enfin, pour la clientèle non volontaire aux approches de réadaptation, mais en mesure de vivre de façon autonome, il serait intéressant de développer au sein de ces équipes un volet de surveillance intensive, en partenariat avec les corps policiers habiletés à intervenir en situation de crise psychosociale.

Les idées pour faire mieux, et faire autrement, existent, tout comme la volonté des intervenants déjà en place. Nous ne pouvons qu’espérer faire partie de la solution.

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