Dans les dernières semaines, l’échec de la prise en charge des « délinquants » aux prises avec des problèmes de santé mentale a été au cœur des discussions dans la sphère publique.

Si ces discussions tentent de révéler les failles de notre système médico-légal, elles sont avant tout marquées par une désinformation inquiétante concernant le régime de la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Cette désinformation invite souvent le public à conclure à une permissivité juridique trop importante à l’égard des personnes déclarées non criminellement responsables pour cause de trouble mentaux (ci-après « personnes non criminellement responsables »). Pourtant, la réalité est toute autre. Démystifions le fonctionnement de ce régime et le sort véritable qu’il réserve aux personnes sous son égide.

En droit criminel canadien, une personne accusée dont il a été démontré qu’elle était incapable de juger de la nature ou de la qualité de l’acte posé en raison d’un trouble de santé mentale peut faire l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Ce verdict empêche que cette personne ne soit dirigée vers le système carcéral, lequel est considéré inadéquat pour elle. Toutefois, en plus de ne pas être aisé à obtenir, ce verdict est loin de « dédouaner » la personne non criminellement responsable et de mettre fin aux procédures judiciaires. Bien au contraire, à l’opposé des personnes déclarées coupables de leur crime dont la peine a une durée déterminée, les personnes déclarées non criminellement responsable se font, quant à elles, automatiquement imposer une peine indéterminée.

Supervision accrue des personnes non criminellement responsables

En effet, une personne non criminellement responsable est plutôt prise en charge, pour une durée indéterminée, par la Commission d’examen de sa province. Ce tribunal spécialisé – dont les juges sont avocats, psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux – doit évaluer le risque important que représente cette personne pour la sécurité du public. Sur la base de cette évaluation, la Commission d’examen choisira soit de détenir cette personne en milieu psychiatrique, de la libérer avec des conditions à respecter ou de la libérer sans conditions. Tant qu’elle représente un risque important pour la sécurité du public, la personne ne pourra être libérée sans conditions et devra rester sous la supervision du tribunal qui, chaque année, révisera son cas. La durée de la supervision d’une personne non criminellement responsable par le système judiciaire dépend donc entièrement de l’analyse du risque effectuée par la Commission d’examen et par l’équipe traitante qui lui formule ses recommandations. Cette supervision peut donc durer six mois, six ans ou… toute la vie !

Un régime accommodant, vraiment ?

Plusieurs laissent entendre que les agents chargés d’appliquer le régime de la non-responsabilité criminelle – juges, avocats et équipe traitante – faillent à leurs tâches en libérant des personnes dangereuses dans la société. Mais les personnes non criminellement responsables bénéficient-elles vraiment d’un traitement favorable et accommodant ? Les résultats d’une récente étude1 contredisent ces croyances et démontrent, en fait, exactement l’inverse. En effet, pour une infraction de même gravité, les personnes déclarées non criminellement responsables sont cinq fois plus susceptibles de subir une détention et sont près de trois fois à quatre fois moins susceptibles d’être libérées rapidement de détention ou d’une quelconque supervision judiciaire que les personnes ayant été déclarées coupables et ayant été prises en charge par le système pénal traditionnel. Cette étude conclut que » [l]es perceptions selon lesquelles les individus déclarés [non criminellement responsables] s’en sortent sans conséquences et sont libérés rapidement sont donc réfutées par ces résultats qui illustrent plutôt un contrôle plus important vécu par ces accusés » 2.

Cela signifie que, contrairement aux croyances populaires, les personnes accusées aux prises avec des problèmes de santé mentale sont traitées plus sévèrement que les autres personnes accusées étant en mesure de juger de la nature de leurs gestes.

Urgence de rectifier le discours

Soutenir l’idée d’un système médico-légal trop permissif à l’égard des personnes non criminellement responsables n’est pas fondé et nuit sérieusement aux réflexions concernant la prise en charge des problèmes de santé mentale qui, selon bon nombre d’experts, repose sur la prévention plutôt qu’une judiciarisation acharnée. Faut-il rappeler que, depuis plusieurs années, notre société fait le choix conscient de sous-investir ou de désinvestir massivement dans les services de santé et de services sociaux. Si la sécurité du public paie certes le prix de ce choix, force est de constater que ce sont avant tout les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale qui en subissent quotidiennement les conséquences.

1. Sandrine Martin, Non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux : Comparaison des pratiques de supervision des Commissions d’examen aux peines prononcées dans le système pénal, Mémoire de maîtrise en criminologie, Université de Montréal, 2019.

2. Ibid, p 93

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