Hier, j’étais assise au restaurant du coin pour déjeuner. Deux hommes derrière moi parlaient de tout et de rien en prenant leur café : de leurs petits-enfants, des orages et puis… de la visite du pape. « Les Indiens n’arrêtent pas de nous écœurer avec ça. Il faudrait en revenir… »

Sur Facebook, plusieurs messages de soutien écris avec beaucoup d’amour et empathie, mais aussi quelques-uns, trop à mon goût, qui disent que je suis négative, que mon « opinion », entre autres en lien avec la Doctrine de la découverte, est faussée et trop critique, que je ne vois rien de bon dans la visite du pape. Puis, ce message dans les commentaires d’un article du Devoir : « Les Amérindiens ont perdu, car ils étaient une société moins développée que les conquérants. Faudrait en revenir un moment donné. C’est ce qui s’appelle l’évolution. »

Je vous jure que je ne cherchais pas les propos blessants. J’ai regardé à peine cinq secondes par inadvertance. Il y a longtemps que j’ai appris à ne plus lire les commentaires au bas des articles qui nous concernent.

Une violence latérale

Normalement, j’aurais répondu à chacun de ces propos en les défaisant morceau par morceau, en éduquant, en bouchant les trous de l’histoire. Ce ne serait pas difficile. Mais là, aujourd’hui, je suis fatiguée. J’ai envie de dire à ces gens de s’éduquer parce que ce n’est pas à moi de le faire ou, à défaut, de se taire. Et croyez-moi, ce n’est pas dans mes habitudes. Mais même dans les moments qui seraient censés nous apaiser, il y a toujours cette violence latérale qui revient au galop. Et je le dis avec beaucoup de sincérité : ça peut faire mal.

Oui, plusieurs d’entre nous voulaient que le pape demande pardon. Oui, nous espérons que ça va panser des plaies.

Mais ce n’est pas à vous de nous dire que nous devons en revenir, passer à autre chose et être enfin contents. C’est à chaque Autochtone de suivre son chemin de guérison quel qu’il soit et peu importe le temps que ça prendra.

Mardi soir, en sortant des bureaux de Radio-Canada où j’ai fait une quinzaine d’heures d’analyse en lien avec la venue du pape, je n’allais pas bien. Je ressentais de la colère en lien avec toutes ces injustices, avec la façon dont on a traité les miens. Désolée à ceux que ça choque, mais oui, il y a des bouts difficiles même pour ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un pensionnat pour Autochtones.

Parce qu’il y a eu la Doctrine de la découverte, la Loi sur les Indiens, l’imposition du patriarcat, la dépossession des territoires, les écoles de jours pour Autochtones, la rafle des années 1960, les sépultures anonymes, Joyce, les femmes et les filles autochtones assassinées ou disparues, la perte des langues et des cultures, l’interdiction de pratiquer nos cérémonies pendant 70 ans, l’accès à l’eau potable, l’accès à des logements décents, les préjugés du quotidien et le racisme ordinaire, et tant d’autres encore. Parfois, tout ça revient nous péter à la figure comme une grosse bulle qui éclate.

Et donc il y a quelques jours, j’ai contacté la ligne d’aide destinée aux survivants et à leur famille au 1-866-925-4419. Parce que j’avais besoin de parler, de pleurer. La dame qui m’a écoutée a utilisé les bons mots. Ça m’a vraiment fait du bien. Le lendemain, je marchais avec mes frères et mes sœurs à partir de Wendake avec l’organisation Puamun Meshkenu pour soutenir les survivants. C’est sur ce chemin que j’ai trouvé un peu de guérison. J’en trouverai sans doute d’autre dans la forêt où je vais me réfugier pour quelques semaines. D’autre encore en écrivant ou en parlant avec des aînés.

Il aura fallu plusieurs centaines d’années pour blesser et détruire, il en faudra au moins autant pour reconstruire. Le chemin vers la guérison prend du temps, son temps. Nos mocassins seront sans doute très usés quand nous arriverons au bout. Nous avons appris à marcher pieds nus tant de fois. Nous y arriverons.

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