On ne sait pas encore exactement comment la montagne a réussi à t’enlever la vie. On peut seulement espérer que toi, qui as accompagné tellement de gens dans leurs derniers instants, tu aies eu une fin paisible, comme ceux qui ont eu la chance de t’avoir à leurs côtés en fin de vie. Nous avions beaucoup de choses en commun, même âge, même prénom (tu étais Rick, j’étais Ritchie, ou vice versa), même profession et mêmes préoccupations existentielles. Là s’arrêtent les comparaisons, car tu étais plus grand que nature.

Tu as mené deux vies en parallèle, une sur Terre avec nous et l’autre plus près du ciel, à la montagne avec tes potes alpinistes. Ta vie sur Terre nous semblait tellement pleine que nous ne pouvions pas comprendre ce besoin d’une seconde vie, mais, pour toi, le besoin de pousser tes limites et de te dépasser continuellement était plus fort que tout.

Tu étais le gars le plus humble et simple que j’ai connu. Tu disais parfois de certaines personnes qu’elles avaient le bonheur facile. Quelle belle façon de décrire quelqu’un. Tu avais l’air toi aussi bien heureux avec ton sourire espiègle en chauffeur de taxi qui me ramenait de l’aéroport, en bricolant ta vieille auto, en jouant de la machine à coudre, en trottant sur les routes des Laurentides sous la pluie (je vais plugger tes exploits au marathon de Boston pour te faire suer un peu), mais surtout en mangeant (beaucoup trop) de biscottis de ma blonde.

Une vie bien remplie

En tant que médecin, ton destin était d’aider les gens, souvent à la fin de leur vie, comme en 2015 lors de l’avalanche à l’Everest qui a fauché 19 vies. Tu étais en expédition et tu es redescendu pour prodiguer des soins aux mourants sur le site. Je pourrais dresser une longue liste de tes accomplissements, d’une vie bien remplie avec ta grande famille, tes deux gars et ta belle Caro qui a fait le sacrifice ultime de te laisser partir avec la peur au ventre.

Ta deuxième vie, celle que seulement les gens de haute montagne peuvent comprendre, était comme une quête incessante de beauté et de plénitude que rien d’autre ne pouvait combler.

Je sais que tu étais un grand montagnard et je t’admirerai toujours d’avoir trouvé et entretenu cette passion, pour ne pas dire obsession, qui prenait tellement de place dans ta vie.

Toi qui mordais dans la vie, c’est finalement le K2 qui te l’a fauchée. Je sais qu’il ne faut pas, mais je ne peux m’empêcher d’en vouloir à cette maudite montagne qui va nous priver de toi. Tu laisses un grand vide, et la planète manque de gens comme toi… Ton petit sourire espiègle de chauffeur de taxi qui me ramenait de l’aéroport va me manquer.

Salut, Richard (Rick) Cartier. Repose en paix, mon pote.

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