Je suis de retour d’Ukraine, après six semaines à Mykolaïv.

Et grâce à l’aide inestimable de Rémi, un infirmier français, Michael, un traducteur américain, et Natalia, la responsable d’une association locale, j’ai pu offrir des soins de première ligne aux résidants de la ville et des villages avoisinants.

Nous étions à 30 km de la ligne de front et bien que la vie ne puisse se comparer à celle des habitants de l’est du pays ou à celle des soldats impliqués dans les combats, elle demeurait difficile à maints égards. Mykolaïv s’était vidé de la moitié de ses résidants, particulièrement les femmes, qui ont emmené leurs enfants à l’abri plus à l’ouest ou tout simplement hors du pays. On y retrouvait majoritairement des hommes de 18 à 60 ans, tenus d’y rester pour le combat, des personnes âgées ou handicapées ou démunies et ceux qui voulaient prendre soin de leurs proches.

Les bombardements étaient quotidiens, jour et nuit, avec obus ou missiles. Certaines attaques étaient accompagnées d’une sirène qui retentissait avant, parfois après le bombardement.

Mais plus personne n’y faisait vraiment attention, convaincu que de toute façon, il n’y avait aucune chance d’échapper à la force d’un missile.

Un mois avant notre arrivée, l’église qui nous hébergeait avait subi une attaque.

C’était un ancien magasin transformé pour l’occasion en lieu de culte et en entrepôt alimentaire. Les vitres et les murs étaient perforés d’une multitude de trous, de même que les appartements avoisinants et les voitures qui y étaient stationnées. On trouvait partout autour des éclats de vitre que plus personne ne prenait la peine de ramasser tellement il y en avait.

Les soins de santé déjà vacillants avant la guerre sont devenus pratiquement inaccessibles. On ressentait la détresse des plus malades, qui n’avaient accès à aucun soin, trop pauvres ou trop loin d’un hôpital pour être traités.

C’était le cas d’Anastasia, une patiente de 20 ans, atteinte d’une maladie rare : le lupus. Elle n’avait plus de traitement ni de suivi médical depuis deux ans.

Nous avions mis en place transport, tests et consultation avec un spécialiste. Mais sa mère très inquiète de la laisser partir du village nous avait dit : « Promettez-moi qu’elle reviendra en vie au village, et je la laisse aller ! » Avec son fils au combat, elle ne pouvait supporter le risque de perdre un autre enfant.

L’accès aux médicaments est un autre enjeu. Beaucoup de personnes ne peuvent se les procurer par manque d’argent ou parce que les stocks sont épuisés. Des conditions dont le traitement est ici banal prennent des proportions démesurées. Hypertensions graves, diabètes non contrôlés, cancers non traités avec leurs lots de complications (gangrène, AVC, infarctus) étaient monnaie courante.

La vie s’est en quelque sorte arrêtée en Ukraine et est devenue d’une banalité angoissante. La fille de Natalia me disait en colère : « On me vole ma jeunesse et mes rêves. Il y a eu les deux ans de COVID-19 et maintenant… la guerre ! »

Elle venait de commencer ses études en droit à Kyiv et maintenant, tout est chamboulé. Son frère Vladimir a heureusement conservé son travail dans les technologies de l’information, mais il a perdu la moitié de ses amis, morts au front.

Un ami, Artem, après avoir subi une pluie d’obus brisant toutes les vitres de son logement, a décidé d’envoyer sa conjointe et sa petite Alicia, 4 ans, en Slovaquie. Depuis quatre mois, ses seuls contacts avec sa famille se réduisent à un échange téléphonique, impossible de les serrer dans ses bras.

Viktor et Constantin, deux pasteurs, avaient fait creuser un puits artésien devant l’église pour fournir en eau potable le voisinage, les Russes ayant détruit le système de filtration de la ville. Jour après jour, les gens, dont beaucoup de femmes âgées, venaient avec leurs cruches pour les remplir. Puis venait la distribution des sacs de nourriture, trois fois par semaine, Nina et Marina, impliquées dans l’église, veillaient à ce que tout le monde soit nourri. Leur record est de 700 paquets distribués en une seule journée !

Le conflit s’annonce long et coûteux, Natalia me confiait : « On s’inquiète que le monde oublie l’Ukraine et nous laisse dans notre misère. Nous sommes prêts à nous battre, mais nous avons besoin d’aide. »

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