Comme tout le monde, nous avons appris avec stupéfaction la semaine dernière que Celsius Network, le dernier chouchou de notre Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), se plaçait sous la protection de la loi américaine sur les faillites.

Cette plateforme prolifique d’investissement en cryptomonnaies jouissait d’une confiance aveugle de 1,7 million d’investisseurs et d’emprunteurs, jusqu’au moment où le marché des cryptomonnaies s’est mis à dégringoler, l’hiver dernier. Ce qui est cyclique, par ailleurs, dans le monde des cryptomonnaies.

Celsius Network n’ayant plus les actifs nécessaires pour soutenir ses promesses de rendement, notre bas de laine des Québécois risque de perdre 150 millions de dollars américains.

Et pourtant, c’était prévisible…

À notre avis, un tel dénouement était prévisible. Pourquoi ? Parce que la CDPQ a choisi de miser sur les gains faciles, mais dans un modèle structurel fragilisé par les failles humaines : la finance centralisée pour les cryptomonnaies (ou « CeFi », pour Centralized Finance).

Dans son communiqué du 12 octobre 2021, la CDPQ nous livrait cette déclaration d’Alexandre Synnett, premier vice-président et chef des Technologies à la CDPQ, lancée 8 mois plus tôt : « Celsius est le principal prêteur de cryptomonnaies au monde et possède une équipe de direction solide qui place la transparence et la protection de la clientèle au cœur de ses activités. »

Lorsque vient le temps d’analyser le risque sur un investissement dans une entreprise ou un projet numérique – et bien au-delà de s’intéresser à son niveau de rendement – il faut d’emblée comprendre son modèle d’affaires, son architecture technologique, sa place dans l’écosystème, sa relation avec la compétition et ses disrupteurs potentiels.

Se sentir rassuré par une « équipe de direction solide » et la promesse de « transparence » n’est guère gage de succès absolu. Parce que l’erreur est humaine. Parce que l’envie d’en vouloir toujours plus est certainement une des grandes failles de l’Homme contemporain.

Cela dit, la transparence, la traçabilité, la neutralité, l’infalsifiabilité, l’immuabilité sont aussi – sinon beaucoup plus – des caractéristiques appartenant au monde du code, de la programmation, des technologies distribuées, comme la chaîne de blocs ouverte. Le code est une forme de loi, suivie à la lettre par les ordinateurs.

À titre de métaphore, le principe de « technologie décentralisée » (ou « distribuée ») pourrait se comparer à une voiture, propulsée par un réacteur nucléaire, mise en marche pour l’éternité, qu’on ne pourrait arrêter parce que verrouillée de l’intérieur, alors que les clés sont toujours dans le contact.

Avec ces nouvelles technologies viennent donc de nouvelles possibilités. Et c’est ainsi que la DeFi est née vers 2017, puis s’est popularisée en 2020. Dans cet univers du DeFi, tout est programmé d’avance. Les algorithmes, les rendements et les règles de gouvernance. De façon inaltérable et immuable, sauf en cas de désir soutenu par la collectivité à changer les choses, démocratiquement.

Il n’y a donc pas de possibilité que l’opportunisme ou l’appât du gain viennent tenter quiconque de risquer davantage l’argent d’autrui ; de prêter plus que ce que la trésorerie le permet…

Ainsi, en opposition aux actes impunis de Wall Street qu’on a observés en 2008, la DeFi propose comme solution un monde structurellement à l’abri de la tentation humaine et, conséquemment, des possibles défauts de paiement.

Or, l’an dernier à pareille date, pendant que ces technologies décentralisées émergentes prenaient du galon partout sur la planète, la Caisse de dépôt choisissait de miser sur la finance centralisée fondée sur les cryptomonnaies, en faisant fi du DeFi ; en embrassant les mêmes bonnes vieilles logiques humaines qui ont triomphé sombrement, en 2008, avec cette débâcle des produits dérivés où plus rien n’était adossé à rien. Une crise qui a d’ailleurs été payée par les contribuables, par l’impression monétaire. Encore…

Cette ignorance nous coûte très cher

Alors, d’après vous, pourquoi la Caisse de dépôt et placement du Québec a-t-elle pris le pari hyper risqué d’investir sur le modèle centralisé (CeFi) de Celsius Network ?

Fort probablement par simple ignorance de l’existence grandissante du monde de la finance décentralisée (DeFi), dans le milieu des cryptomonnaies. L’antagoniste de la CeFi.

Ceux et celles qui suivent la « puck » dans l’univers des cryptomonnaies savent que la CeFi dans ce secteur est plus que jamais menacée par la DeFi. Ce nouveau modèle, faut-il le souligner, a très bien performé dans les eaux tumultueuses des derniers mois, tandis que se multiplient les difficultés pour les plateformes de CeFi semblables à Celsius (BlockFi, Voyager, Nexo, etc.).

L’éducation est la clé

Nous croyons donc que notre société a grand besoin d’éducation à ce sujet. Plus que jamais, il deviendra important d’enseigner à notre relève les technologies distribuées et l’impact fondamental des cryptomonnaies sur l’économie de demain. Les futurs responsables de nos institutions décisionnelles devront aussi être adéquatement instruits pour nous guider dans cette révolution.

Parce que cet avenir est fondé sur bien plus que la spéculation financière présentée par les médias et les décideurs ; ce changement de paradigme profond est incontournable et surtout inarrêtable.

Comme l’a avancé Alexandre Synnett en octobre dernier dans un communiqué, « la technologie des chaînes de blocs présente un potentiel perturbateur pour plusieurs secteurs de l’économie traditionnelle ».

Il est donc impératif de maîtriser l’univers de la chaîne de blocs, des applications décentralisées et des cryptomonnaies. Puisque le fait de miser par ignorance sur un mauvais cheval, vulnérable et faillible de surcroît, nous coûtera toujours trop cher, collectivement.

* Cosignataires : Jean-Sébastien Brault-Labbé et Olivier Chevrier, investisseurs soucieux du bas de laine des Québécoises et Québécois et utilisateurs de la première heure des technologies distribuées

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