De retour à Paris après deux ans d’absence, Patrice Dallaire est sous le choc devant l’omniprésence de l’anglais. Son ouvrage Réveillez-vous… bordel ! est un cri du cœur et appel à un débat public sur le statut du français comme ciment de la cohésion républicaine, alors que la langue anglaise occupe une place croissante dans l’affichage et les communications, dans tous les secteurs d’activité en France.

Paris. Septembre 2021. « Fly-Car, City-Life, Lime, Pony, Click & Collect, City Market, Happy Hour, Cashback, TVBox, Made in France », etc. Le choc est brutal ! Je me promène dans cette ville que je ne reconnais plus. Pourtant, mon absence, COVID-19 oblige, aura été d’à peine deux ans…. Raisons sociales, publicité, menus, sites internet, musique d’ambiance dans les restaurants, etc. L’anglais est partout.

Je me demande si ma mémoire me joue un tour. J’interroge des proches. On me répond que je ne me trompe pas. Il y a, me dit-on, un « effet de mode ». Un effet de mode ? Et puis quoi encore ! Ma sensibilité québécoise est chatouillée.

En l’an 2050, que verront les Français dans leur miroir public ? Et les francophones venus d’ailleurs verront quoi au juste dans la grande vitrine parisienne ? Si l’anglais continue de gagner du terrain dans l’affichage, le reflet culturel qu’incarne la France donnera l’impression d’un miroir déformant, décalé entre l’imaginaire et la triste réalité sur le terrain. Car une France qui s’habille en anglais se travestit en quelque sorte.

Au fur et à mesure que j’observais, que je m’interrogeais et que je sondais les autres, j’ai vu que le problème est beaucoup plus large que l’affichage en anglais. Nous sommes face à une problématique de société.

C’est sur le plan psychologique que le danger est le plus sournois. La longue et progressive soumission observée nous montre bien comment les mécanismes de défense peuvent tomber. Car c’est de cela qu’il est question : la soumission. La soumission tranquille, lentement distillée d’une culture à une autre. La soumission devient acceptation, résignation, asservissement, assujettissement. Comme dans le roman de Michel Houellebecq, les Français vont se réveiller dans un monde où l’anglais, après s’être insinué subtilement dans toutes les facettes de leurs vies, sera présent partout, indélogeable, maître. Ils auront imperceptiblement assimilé les schèmes de pensée anglo-saxons. Ayant intégré leurs valeurs, ils penseront comme les Anglo-américains. Ils trouveront normal ce qui s’est lentement imposé à eux et qu’ils auraient rejeté en bloc si les changements avaient été brutaux, subits. Et, face à un environnement qui les dépassera, ils se soumettront, accepteront implicitement de disparaître comme culture et civilisation.

Les Américains utilisent l’expression « melting-pot » pour décrire le processus d’intégration et d’acculturation des immigrants et des populations qui habitent les États-Unis et qui, stimulés par le rêve américain, le mythique « American Dream », s’américanisent, souvent en l’espace d’une génération. Mais nous, gens de culture française, veut-on avoir l’air d’Américains en toute chose ?

On dira aussi que je fais de la politique-fiction mais… Mais d’autres civilisations ont disparu avant la nôtre, en Europe et ailleurs dans le monde, pas seulement celles écrasées militairement, mais aussi celles tombées sous les coups de boutoir des technologies, du commerce, des emprunts culturels et de valeurs et des modes venant d’autres civilisations.

Certains diront : « de quoi diable se mêle-t-il ? ». Question légitime. À laquelle on peut répondre qu’il faut parfois des yeux externes pour voir à l’intérieur de soi. Et, pour citer Albert Camus, moi aussi je puis dire : « ma patrie, c’est la langue française ! » Surtout, je rappellerais qu’on a longtemps utilisé l’expression « non-ingérence mais non-indifférence » lorsqu’il s’agissait pour la France d’exprimer son sentiment en ce qui concerne l’avenir politique du Québec. Dans ce cas-ci, en ce qui me concerne, la non-ingérence serait de l’indifférence et, comme l’écrit si bien Alain Juppé en préface de cet ouvrage, la langue française appartient à tous ses locuteurs par le monde, alors il m’est impossible d’être indifférent face à son avenir et au sort qui lui est fait en France.

On peut avoir l’impression, en lisant les pages précédentes, que la grande roue de l’anglicisation de la France tourne lentement. C’était vrai jusqu’à présent. Maintenant que l’engrenage est rodé, il y a un danger réel d’accélération de la dynamique. À cet égard, les Jeux olympiques de 2024 pourraient servir d’accélérateur et conduire Paris, sinon la France, à un point de non-retour sur la route de l’anglicisation de son paysage linguistique.

Mon propos émane d’une intime conviction, appuyée par des études faites dans d’autres pays, que ce laisser-aller linguistique et cette mode snobinarde nous mèneront à des reculs importants du statut du français, pas seulement en France mais partout dans le monde où la langue française est parlée.

Si les Français ne se réveillent pas, ils verront bientôt leur pays tapissé d’anglais et la population patauger dans une espèce de culture informe, bâtardisée. La France « qui donnait aux peuples étrangers le vertige » va-t-elle maintenant leur donner le tournis ? Alors, avant qu’il ne soit trop tard, réveillez-vous, bordel !

*Patrice Dallaire est diplomate de carrière, diplômé en relations internationales et en science politique. Il a été conseiller spécial du premier ministre du Québec, représentant du Québec au Canada, diplomate en Chine et secrétaire adjoint au ministre du Conseil exécutif du Québec.

Réveillez-vous… bordel !

Réveillez-vous… bordel !

Vérone Éditions

86 pages

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